
Ce jour-là aurait dû être le plus beau pour Joséphine. En tout cas, il s’annonçait comme tel : deux petites lignes qui confirmaient un début de grossesse, inattendu. Mais ce jour-là, alors qu’elle attend avec impatience le retour de son mari Vincent d’un week-end entre copains pour lui annoncer cette heureuse nouvelle, un coup de fil fait brutalement éclater la bulle euphorique dans laquelle elle nageait : plus jamais elle ne verra Vincent franchir le seuil de l’appartement, plus jamais elle ne reverra son visage illuminé de ses élans fougueux pour toute nouvelle ambition qui jamais ne lui résiste. Ne lui résistait. A la place, le néant, abyssal, creusé par la tombe du deuil.
« Je pensais qu’un départ n’avait pas besoin d’être préparé, c’est ce que je faisais presque toujours, parfois sans avoir le choix, sans laisser le choix. » (p.41)
Joséphine s’enferme dans une sévère dépression, cloitrée chez elle. Plus rien n’a de sens : comment la vie peut-elle continuer autour d’elle ? Et comment peut-elle seulement concevoir de continuer à porter la vie alors que le père de l’enfant est mort ? Cet embryon, elle l’oublie. Elle-même s’oublie, dans un chagrin aux limites insondables.
« L’avenir, pour Joséphine, ce sont les prochaines minutes. La suite, ça n’existe pas. » (p.61)
Reprendre pied et se raccrocher à la vie s’annonce périlleux : ses proches, amis et famille, lui tendent la main, pleins d’une empathie qu’elle ne sait comment utiliser. Paris lui devient un supplice, comme le rappel de cette vie d’avant qui ne sera jamais plus. Alors, sur un coup de tête, Joséphine part à Locmariaquer, en Bretagne. Là-bas l’attend le projet de vie de Vincent : la vieille maison de son grand-père Louis, reçue en héritage, et qu’il avait commencé à retaper. Jusque-là, Joséphine était restée indifférente à cette ambition propre à son architecte de mari. Tout au plus l’acceptait-elle parce que cela faisait plaisir à Vincent.
« Pour survivre à la mort de Vincent, elle s’est enfuie, elle s’est terrée dans un nouvel univers ouaté pour éviter de penser à l’ancien. » (p.281)
Mais maintenant, c’est ce qui lui reste effectivement de son défunt mari. Et autant dire que l’appropriation du lieu s’annonce éprouvante : outre les travaux titanesques à réaliser, c’est la confrontation d’un passé à deux à un présent et un avenir seule qu’il lui faut accepter et gérer. L’activité pour pallier le manque, l’absence, et s’épuiser physiquement : Joséphine semble avoir trouvé le moyen de conjurer son spleen. Des moments de découragement, il y en a, nimbés de la crainte de se fourvoyer dans ce projet. Pour y croire, Joséphine peut compter sur la gentillesse de ses voisins, bientôt essentiels à sa vie.
Quête de soi et deuil de l’autre, réappropriation du sens de sa vie que le destin se charge parfois de nous faire reconsidérer, Des ronds dans l’eau narre le cheminement douloureux d’une femme éprouvée par le deuil mais qui, amputée d’une partie d’elle-même, doit questionner sa capacité à accueillir l’autre, à savoir l’enfant en son sein, « héritage » sans doute pas si anodin que cela. Mais aussi faut-il l’accepter : plutôt que d’accueillir un petit inconnu, ne pourrait-elle pas le céder contre le retour de son bien-aimé ?
Morgane Alvès donne corps, par ses mots, au deuil terrible d’une jeune femme. Elle fait preuve d’une grande pertinence pour sonder ses questionnements : que faire de l’appartement de Paris ? comment concevoir maintenant la présence des parents de Vincent dans sa vie ? comment retrouver goût à sa pratique de médecin de ville ? comment envisager de donner la vie alors que la Faucheuse a volé celle de son mari ? comment prétendre être une mère seule ? Un portrait de femme vibrant, touchant…
« Elle n’est qu’au début de sa course d’endurance contre le chagrin quotidien. » (p.370)
On regrettera une certaine longueur dans les descriptions à n’en plus finir des travaux menés par Joséphine dans la maison de Locmariaquer : mille et un détails par forcément pertinents pour la dynamique de l’intrigue, laquelle vire au catalogue de bricolage ou de déco. De même, certaines ficelles narratives pèchent par excès de « simplicité » et par leur répétition. Sans doute Morgane Alvès a-t-elle souhaité là symboliser le « remplissage » de la nouvelle vie de son héroïne, mais je me permets de penser que cela nuit à la qualité de son propos et de la finesse thématique de son récit, évidentes toutes deux. Un écueil de zèle littéraire qui n’empêchera d’apprécier le roman dans son ensemble.
Des ronds dans l’eau, Morgane ALVES, éditions FLAMMARION, 2023, 441 pages, 21.90€.

L’idée me tente bien, et le roman a l’air sympa, malgré les petits défauts soulignés 😉 Je me laisserai peut-être tentée si je le trouve 😉
Merci pour cette découverte 🙂
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Avec plaisir 🙂 Bel été !
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