A dévorer !

« Cinq articles maximum », Claire Renaud : l’instable équilibre du cintre de la vie

Entrer dans un magasin de vêtements, essayer quelques pièces, trouver son bonheur (ou pas) : une pratique quotidienne. Si pour beaucoup de femmes (désolée messieurs, mais le magasin niortais du récit appartient à une enseigne du prêt-à-porter féminin) shopping rime avec plaisir, il en est pour qui faire les boutiques est une épreuve.

« Toutes ces femmes qui ne s’aiment pas. Tous ces corps rejetés, critiqués, haïs. » (p.131)

Ainsi, en une journée comme tant d’autres, le récit est un condensé de points de vue de personnages qui tous se frôlent, se croisent ou se toisent devant les cabines : les ados hystériques et despotiques, la vénérable aïeule en tenue de deuil qui se laisse persuader d’opter pour de la couleur grâce à une jeune fille délurée, une toute jeune maman désespérée par ce corps qui n’est plus le sien, ou encore une acheteuse compulsive… Autant de portraits de consommatrices variées et, au-delà, de femmes en pleine confrontation avec elles-mêmes : revendiquer un corps dénudé que notre mère réprouve ; appréhender cette poitrine à l’intérieur de laquelle il restera à jamais ce vide creusé par un crabe malin ; se réinventer femme et amante après l’adultère ; jouir du risque de s’approprier illégalement ce dont on n’a pas besoin juste pour le plaisir de pimenter sa vie…

Et, au milieu de ce gynécée en quête de la pièce parfaite, celle qui pourra changer une vie, trottine sans cesse Juliette, l’une des vendeuses. Les chapitres qui lui sont consacrés portent un regard désabusé sur le mercantilisme, notre société de consommation, l’esclavage moderne qui musèle les vendeurs en autant de clones que l’on prive de toute forme d’humanité. Car le client est roi, et il faut s’effacer devant lui, quitte à mieux le tromper par des stratégies de vente infâmes.

« Oui, en fait, tu es la boniche. Tu ramasses, tu ranges, tu te tais. C’est ce que j’ai fait. J’ai besoin de mon salaire. » (p.23)

« Nous ne sommes pas là pour conseiller, nous sommes là pour vendre. Même un vêtement affreux, mal coupé, inadéquat. » (p.53)

Pratiques de consommation, rapport au corps (le sien, celui des autres), la quête des autres en passant par l’adoubement que l’on recherche à travers toute parure (vestimentaire…), le roman de Claire Renaud questionne au final notre quotidien. Ainsi, dans l’achat d’un vêtement, il se joue souvent autre chose : quel désir (peut-être métaphysique) se cache derrière l’envie ou le besoin ? Qu’est-ce qui motive la recherche de ces tissus dont on se pare pour parfois mieux s’en séparer ensuite ?

« Elle se trouve belle seulement dans un rétroviseur. Elle s’apprécie à contretemps. Sans parvenir à se dire : aime-toi maintenant, tout de suite, sans attendre d’exhumer des photos. » (p.89)

Sans tomber dans le misérabilisme ni les topoï que certains personnages pourraient faire craindre, elle nous donne à lire la toile de fond, au sens propre du terme, de ce qui se joue dans tout temple de la consommation.

Intelligent.


Cinq articles maximum, Claire RENAUD, éditions FLEUVE, 2023, 191 pages, 17.90€.

1 réflexion au sujet de “« Cinq articles maximum », Claire Renaud : l’instable équilibre du cintre de la vie”

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