
Point besoin de romantisme pour parler d’amour. En douteriez-vous ? A lire le nouveau roman du prolixe écrivain François Bégaudeau, la démonstration en est faite : à défaut de se dire, de se sublimer dans les mots, l’amour se vit. Il se niche dans les petits actes du quotidien, se révèle dans ce qui est anodin. Il se passe du vernis de l’emphase, des discours grandiloquents.
En 90 pages, l’écrivain nous raconte cinquante ans d’amour entre Jeanne et Jacques Moreau, de 1973 à aujourd’hui. Elle, fille d’une femme de ménage qui rêve éperdument du beau mais inaccessible Pietro ; lui, fils de maçon tout entier la tête dans les étoiles et le nez dans ses maquettes. Leur rencontre est le fruit du hasard et du pragmatisme : un jour de loto en province. Leurs retrouvailles : scellées sur une mobylette… Et le fil de leur amour de se dérouler, fluide, les transitions temporelles étant assurées par les nombreuses occurrences réalistes et elles aussi pragmatiques relatives à telle ou telle année : tel fait l’année de sortie du discman ; tel événement l’année de l’avènement de l’ordinateur… Dans leur petite bourgade sans prétention des Pays de la Loire, dans l’anonymat le plus absolu, les Moreau avancent, besogneux, compagnons sur leur chemin de vie qu’ils ont choisie commune, pour le meilleur et pour le pire.
« Avec le temps, comme les amis de l’un sont les amis de l’autre, les sorties personnelles se font rares. Les sorties tout court. Les téléphones sont à touches, les bouteilles de soda en plastique, les mouchoirs en papier,les têtes d’hommes nues, les machines à coudre envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les shorts de foot longs, et Jeanne et Jacques préfèrent le plus souvent lambiner pieds nus sur la moquette qu’ils ont choisie épaisse et vert d’eau. » (p.53)
Des petites gens laborieuses et heureuses de ce quotidien sans prétention mais qui leur suffit. Bien évidemment, l’amour se raconte aussi dans les épreuves : le deuil, la maladie, l’adultère. Mais ce fil narratif de poursuivre sa route (le choix d’un récit sans chapitre y est peut-être pour quelque chose), sans s’arrêter, comme pour signifier que la vie continue de toute façon. Point de morcellement ou, si fragments il y a, couturer aussi bien que possible, sans remords ni rancune, sans éclats ni fracas.
« Jacques a transformé en atelier le garage attenant au salon. Il y monte et remonte, peint et repeint ses fusées, ce qui a le don d’exaspérer Jeanne que ces réalisations ravissent.
– Ça t’exaspère ou ça te ravit faut savoir.
– Les deux. C’est beau et encombrant.
– Comme moi, quoi.
– Comme toi oui. » (p.73)
Avec pudeur, François Bégaudeau donne forme à un archétype de l’amour dénué de tout artifice. On n’y est que plus sensible. Et les dernières lignes d’être lues, la gorge nouée, tant ces petits riens du quotidien d’un couple se révèlent finalement d’une force insoupçonnée…
Pudique et épuré, ce récit rivalise à sa manière avec les fresques amoureuses les plus complexes : « Aimer vraiment, c’est aimer en silence, avec des actes et non des mots. » (Carlos Ruiz Zafón).
L’amour, François BEGAUDEAU, éditions VERTICALES, 2023, 90 pages, 90 pages, 14.50€.

Tout à fait d’accord! Belle chronique qui dit bien le meilleur de ce roman !
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