A dévorer !

« Plus jamais », Megan Nolan : complément toxique sur sujet fragile

Ne même pas avoir trente ans et tenir, en apnée, sous le joug d’un pervers narcissique merveilleusement beau, désespérément attirant mais aussi terriblement odieux : ainsi peut-on peindre le portrait de l’héroïne, anonyme, de ce premier roman de l’Irlandaise Megan Nolan.

Avant qu’elle ne rencontre Ciaran, pigiste de son état, la jeune narratrice a brûlé la vie par les deux bouts : soirées orgiaques lors desquelles le pire enivrement était de mise ; enchaînement d’amants quasiment dépourvus de tout romantisme voire de courtoisie… L’insouciance absolue, pourvu que l’ivresse de vivre (follement, dangereusement) soit au rendez-vous.

Or, Ciaran rebat les cartes : taiseux, détaché de nombre de contingences et quelque peu asocial, le jeune homme pondère et canalise les faux pas de sa compagne. Éperdue d’admiration et d’amour, peut-être même franchement reconnaissante d’être érigée au rang d' »élue » malgré ce qu’elle considère comme sa propre banalité, notre protagoniste accepte sans broncher les desiderata de son amoureux. Et ce dernier de lentement mais sûrement avilir la jeune femme par une emprise certes discrète mais de plus en plus évidente. Et malsaine…

« Je lui faisais l’offrande de chacune de ces journées où j’étais une petite amie digne de ce nom, facile à vivre, conciliante, à la manière d’un rituel. Mon corps s’imaginait que cette persévérance avait un sens. » (p.77)

Elle, ne dit rien. Ne s’oppose pas. Ne se rebelle pas. Trop heureuse d’être aimée. Trop heureuse d’être considérée.

« Tout le temps ou presque que durerait notre couple, je reconnaîtrais en Ciaran sa suprématie en toutes choses, les points essentiels aussi bien que les superficiels. » (p.16)

« En compagnie d’autres personnes, j’avais la sensation de m’accomplir. C’est pour cette raison que je voulais tomber amoureuse. » (p.22)

Alors quand Ciaran commence à souffler le chaud et le froid, alternant douceurs verbales et sévices moraux à notre héroïne, celle-ci se résout à ne poursuivre qu’un seul but : plaire, à tout prix, en toute circonstance, à l’homme qu’elle aime tant.

Le gouffre des humiliations n’a pas de fond. Le prix à payer pour un minimum de considération est bien élevé, mais l’amour est aveugle. Les coups au cœur ne sauraient rendre la vue meilleure…

« Ma vie intérieure s’était à ce point étiolée que je quémandais des marques d’amour à un homme qui n’avait pas envie de m’en donner. » (p.117)

Les rouages de l’endoctrinement amoureux dans une relation toxique sont admirablement bien décrits et l’on souffre de lire, page après page, les sacrifices que la narratrice accepte sans broncher pour mieux satisfaire l’ego d’un ignoble s… Alors que l’on espère d’elle un sursaut, une révélation qui puisse mettre fin à l’emprise conjugale, on assiste, désespérés, à une plus rude chute encore. Au nom de l’amour, quelles sont les limites du consentement ? L’héroïne peut-elle espérer une rédemption possible alors qu’elle s’autoflagelle en réitérant des mécanismes amoureux qu’elle sait toxiques pour elle ?

« Sans lui, serais-je obligée d’être cette nouvelle version de moi, cette propriété-de-Ciaran, le restant de mes jours ? Qui pour me servir d’amarre désormais, pour me rendre réelle ? » (p.283)

De 2012 à 2019, nous dévorons le parcours d’une jeune adulte qui se débat entre ses aspirations et ses addictions. Comment espérer devenir une autre ? Avec quelles conditions ? Selon quels renoncements ? A la grâce de quoi, ou de qui ? Le désespoir flirte tout du long du roman avec l’envie d’aimer mieux, autrement. Et s’il s’agissait d’être en paix avec ses propres démons pour ne pas se laisser posséder par l’emprise d’autrui ?

« J’avais souffert et, en un sens, sublimé la souffrance. Je l’avais magnifiée de façon telle que je la transformais en occupation à plein temps. » (p.352)

Un premier roman au souffle puissant et brut. Une claque.


Plus jamais, Megan NOLAN, traduit de l’anglais (Irlande) par Madeleine Nasalik, éditions de l’Olivier, 2023, 381 pages, 22.50€.

2 réflexions au sujet de “« Plus jamais », Megan Nolan : complément toxique sur sujet fragile”

  1. Quand on a vécu dans ce milieu destructeur, et même si chaque cas est particulier (chaque personne également), on se demande « Comment cela a-t-il pu arriver », « pourquoi n’ai-je rien pu déceler », « pourquoi ne suis-je pas partie tout de suite »…?
    Je crois que le fait d’être manipulée annihile notre questionnement et notre raison. Horrible !

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