A croquer

« Le grand secours », Thomas B. Reverdy : pbm d’1 6t nrv

En ce frais lundi matin de janvier, le lycée public de Bondy ouvre ses portes pour accueillir les deux mille têtes à casquette ou à bonnet qui le composent. Parmi elles, Mo, un jeune élève de seconde discret à qui sa mère a préconisé de filer dès 7 heures du matin pour éviter d’être embêté dans la rue après les incidents violents de la veille qui ont encore une fois secoué la cité ; Candice, la jeune prof de français au rouge à lèvres carmin qui dompte de son autorité bienveillante les jeunes taureaux un peu fous de ses classes ; Paul, également, un écrivain parisien bobo qui a accepté l’invitation de Candice à animer des ateliers d’écriture en classe.

A pied, à vélo, en bus ou en tram, tous s’avancent, les yeux encore lourds de sommeil, jusqu’au monstrueux carrefour tentaculaire où se croisent une autoroute et une nationale au trafic assourdissant et incessant. Sous les énormes piliers de béton qui supportent les allées et venues de milliers de véhicules, la misère, la saleté, le trafic, la précipitation besogneuse pour rejoindre la capitale, l’ignorance des uns et des autres pour mieux éviter les ennuis.

« c’est un drôle de territoire, cette banlieue. C’est la frontière d’un monde. » (p.27)

« Passé le choc de l’environnement immédiat. Ce carrefour géant invraisemblable, l’autoroute et les deux bretelles qui rejoignent la N3n qui se détachent à trente mètres du sol, cette espèce de no man’s land en dessous, les carcasses de bagnoles, le camp de Roms au bord du canal. Et puis la barre d’immeuble de dix étages qui fait un S en suivant la courbe de l’autoroute, le nez dans les pots d’échappement, impossible d’ouvrir les fenêtres. » (p.79)

Et pourtant, ce matin-là, Mahdi, un jeune lycéen de l’établissement, a le malheur de réclamer justice pour un pauvre hère sans domicile au nez de qui un type a écrasé sa cigarette, par pure provocation et par véritable méchanceté. Bien mal lui en prend : Mahdi repart le visage tuméfié de la sauvagerie de son assaillant, sans pitié pour son adversaire à peine sorti de l’adolescence.

Mais… le discret Mo a pu prendre en photo l’intérieur du porte-feuille de la brute épaisse et y découvrir, en zoomant, trois bandes colorées. Mais… Mahdi peut compter sur le sens de l’honneur et de la vendetta de son grand frère Adama. Certes, il a déjà écopé d’une peine de prison ; pourtant, il ne peut laisser un crime impuni.

Alors, par la grâce des réseaux, Adama parvient à recouper mille et une informations et à identifier l’assaillant de son frère, cible idéale qui syncrétise toute la haine d’une banlieue pour l’autorité institutionnelle. Une armée de jeunes, soulevée par le vent de la colère de frustrations sociales accumulées dans les familles depuis des décennies, reléguées dans la misère, oubliées par les gouvernements successifs, mises au ban de la capitale, de la société, de la France, une armée qui compte bien faire entendre sa voix.

« Le commissaire pense qu’il se prépare quelque chose, mais ils ne savent pas quoi. Ça s’agite beaucoup sur les réseaux. Ils nous ont demandé d’être vigilants. C’est ça, bonne journée. » (p.197)

Dans une réécriture proche de l’épopée germinalienne menée par Etienne Lantier, une centaine d’individus s’avance vers le lycée, coupant la circulation, sûre de son bon droit et de sa légitimité à gronder et à revendiquer ses hurlements intérieurs. Le lycée peut-il être un abri alors que cette première journée de cours de la semaine s’achève ?

Et le roman de se déployer jusqu’au déferlement de la vague, nous emportant dans un ressac violent de vengeance, de revendications, de contestations, repoussant sur son passage les protestations de qui s’aviserait bien d’émettre le moindre jugement.

Un lundi qui part en vrille et sombre vers la tragédie, s’embrase d’une étincelle allumée par un funeste hasard.

« La vie en général est totalement hors de contrôle, mais là, ça a pris soudain un tour violent, brutal. » (p.274)

Thomas B. Reverdy donne corps et âme à une banlieue oubliée, malmenée, et pourtant désireuse de survivre même si elle s’étrangle dans son mal-être et son malaise. En son centre, la communauté éducative du lycée public, encore mue par la conviction d’œuvrer pour de futurs citoyens, mais trop consciente aussi d’être les déshérités d’une République pas forcément juste. Et l’écrivain d’évoquer les inepties propres au système éducatif, un mammouth figé dans un immobilisme séculaire et qui ne saurait sauver toutes les âmes qui lui sont confiées.

Serait-ce dire qu’il n’y a plus d’espoir dans ces coins de France malmenés ? Sans doute pas. Par contre, Thomas B. Reverdy érige devant nous un miroir : il invite à une prise de conscience, sans misérabilisme, d’une société qui ne va pas bien, désireuse de quelque chose de meilleur, de différent. Et ce roman de sonner si tristement, si tragiquement juste en ces temps agités…


Le grand secours, Thomas B. REVERDY, éditions FLAMMARION, 2023, 318 pages, 21.50€.

5 réflexions au sujet de “« Le grand secours », Thomas B. Reverdy : pbm d’1 6t nrv”

  1. J’ai eu l’occasion de rencontrer l’auteur lors d’un salon du livre et après avoir échangé, j’ai pris l’un de ses romans qui est … dans ma PAL depuis … Il faudrait peut-être que je sorte cette relique !

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