A dévorer !

« Made in Korea », Laure Mi Hyun Croset : partir pour se (re-)trouver ?

Il est de ces pépites dont on ne fait qu’une seule bouchée, que l’on dévore d’une traite, et ce nouveau récit de Laure Mi Hyun Croset est de celles-ci.

Dans ce que l’on pourrait qualifier de conte initiatique, le personnage principal part d’une situation problématique (à trente-cinq ans, une vie sédentaire et solidaire de concepteur de jeux vidéo lui vaut l’épée du diabète au-dessus de sa tête) pour organiser son propre départ pour un séjour en Corée, pays de ses origines d’enfant adopté, afin d’y puiser des ressources qui, l’espère-t-il, lui permettront de découvrir l’élément de résolution qui le réconciliera avec la vie ou du moins le sauveront d’une possible mort.

« Certes, il n’avait pas d’ambitions, mais se détériorer aussi tôt, puis mener son existence dans un état dégradé ne faisaient pas du tout partie des plans acceptables. » (p.15)

D’une naïveté touchante, et après quelques derniers repas orgiaques en hommage à la culture culinaire française, notre héros s’envole pour la Corée. Si physiquement il ne dépareille pas dans le décor, les us-et-coutumes coréens étonnent son âme occidentale. Mais, bon public, il se laisse aller à la découverte. Cette âme d’enfant est réjouissante, tant Laure Mi Hyun Croset donne à sentir avec une délicate ironie le décalage entre les aspirations pleines de bonne volonté d’un trentenaire quasi-asocial et sa confrontation avec la réalité.

« Il regretta de ne pas avoir regardé de film. Cela constituait le début d’une désintoxication numérique. Cependant il aurait aimé voir à quoi ressemblait la Corée vue du ciel. Il songera qu’il pourrait toujours se rattraper avec Google Earth. » (p.30)

Alors, finalement, que peut trouver et / ou retrouver notre narrateur le temps d’une escapade à Séoul ? N’y a-t-il de quête que médicale ? On se doute bien évidemment que le protagoniste va à être à même de découvrir autre chose, ou quelqu’un d’autre. Et l’évidence, si brillamment amenée, de se révéler en guise de dénouement.

« Il ne savait jamais s’il prenait trop ou pas assez de place. Sa solitude avait été le seul remède assez puissant contre ses divagations. » (p.79)

Avec Made in Korea, Laure Mi Hyun Croset réfléchit au fonctionnement de notre société, s’empare des éléments du quotidien qui entravent et enserrent, tel un carcan, nos vies. Est-ce dire que le prétexte de la Corée est un miroir érigé à la tête de notre héros ? Peut-être. Dans tous les cas, l’écrivaine nous invite à considérer d’un autre œil ce qui constitue les petits bonheurs de notre vie, pourvu qu’ils soient dépourvus de toute artificialité. On a là une célébration fine et intelligente d’une vision personnelle de l’horacien « Carpe Diem ». Délicieusement narrée, cette invitation à se saisir du jour présent est réactualisée par ce personnage de Don Quichotte mi-français mi-coréen, sympathique à souhait, et qui de ses moulins apprend à se laisser porter par le sens du vent.

Bien évidemment, la thématique des doubles cultures tisse le roman, dans la mesure où l’écrivaine questionne ces enfants asiatiques adoptés et qui grandissent dans un cadre occidentalisé : de quelle(s) culture(s) sont-ils faits ? Complémentarité ou dichotomie ? Si notre personnage ne semble pas tiraillé par cette potentielle scission existentielle, le récit a le mérite de la faire émerger.

« C’était bizarre de penser que la France était son pays d’adoption car il avait au contraire l’impression que c’était la Corée qui était en train de l’adopter. Il y avait vraiment quelque chose de tordu dans le concept même d’adoption !

Perle narrative, on se délecte de ce nouveau récit de la brillante Laure Mi Hyun Croset, figure chérie du blog.


Made in Korea, Laure MI HYUN CROSET, BSN PRESS, 2023, 110 pages, 18€.

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