
L’intrigant oxymore au cœur du titre du premier roman de Juliette Leroy nous livre, à nous lecteurs, les deux fils narratifs de ce récit policier : il y a ce que l’on dit, ce que l’on clame, ce que l’on martèle. Fort, pour (espérer) mieux cacher le mensonge. Et puis il y a ce que l’on chuchote discrètement, ces murmures qui révèlent sans doute davantage une vérité à laquelle on ne s’attend pas forcément.
Hervé Canetti est un modeste journaliste pour un canard local. Ses articles ne sortent guère du lot et couvrir la rubrique des chiens écrasés ne risque pas de lui conférer le titre de journaliste de l’année.
Pourtant, lorsque le patron de GeckoLink, une très grande entreprise de l’innovation technologique, est retrouvé assassiné et que son assistante, Eva Grandier, se suicide dans la foulée, Hervé pressent que l’affaire peut faire grand bruit pour qui se délecte de sensationnalisme : une occasion en or pour se distinguer, enfin ! Ayant quelques contacts dans la police, Hervé couvre l’enquête de son calepin de journaliste.
« Cette affaire devenait trop grosse pour moi. J’allais devoir enquêter. » (p.87)
« Je m’étais fourré dans un bourbier dont les ramifications m’échappaient totalement, et j’avais l’occasion de faire évoluer ma carrière de manière inespérée. » (p.109)
L’occasion pour lui de rencontrer le proche entourage des deux victimes et de fomenter ses propres théories. Tel un Tintin des temps modernes (et oui, le personnage de BD est avant tout un reporter avant d’être un enquêteur à la renommée mondiale), Canetti recoupe ses données à celles que ses acolytes de la PJ lui accordent. On pourra douter ici de la crédibilité de cette alliance, puisque le lecteur voit sans doute davantage en Canetti un alias d’un policier. Pourtant, le roman rappelle aussi que tout journaliste se doit d’enquêter pour viser la véracité et l’authenticité de ses dires : une éthique parfois malmenée, pour laquelle Canetti fait d’ailleurs amende honorable lorsque les limites sont franchies.
« J’ignorai que je serais bientôt confronté à une inextricable histoire aux ramifications insoupçonnées, dont le dénouement marquerait le plus important tournant de ma petite carrière de journaliste, bouleversant en profondeur l’ensemble de mon système de valeur. » (p.9)
Pour autant, le récit de Juliette Leroy se lit avec un certain plaisir que l’on ne boude pas : l’intrigue est plausible, les thématiques cohérentes et les personnages échappent en partie aux clichés. Au final, Le bruit incessant des murmures propose un agréable moment de lecture, avec des pistes thématiques intéressantes et porteuses : l’utilisation des données informatiques dans notre société ; l’éthique journalistique ; le sensationnalisme au cœur des réseaux et des informations. Juliette Leroy questionne la transmission de la vérité, mais surtout la quête et l’enquête pour arriver à celle-ci. Pure, dépouillée des faux-semblants, délivrée de ses marionnettistes. Lorsque l’on prétend lever le voile, à quelle réalité s’attendre ? à quelles illusions renoncer ?
Une sympathique découverte qui, sans renouveler le genre, matche avec les codes du roman noir.
Le bruit incessant des murmures, Juliette LEROY, éditions SUDARENES, 2023, 162 pages, 19€.
