
Camille n’a guère été favorisé par mère Nature : maigre, un visage commun à tendance ingrat, des culs de bouteille en guise de binocles, et un bégaiement handicapant dès lors qu’il lui faut s’exprimer. Si l’enfance lui a épargné la disgrâce, l’adolescence le malmène : solitaire, taiseux par la force des choses, ses relations sociales se réduisent à rien, et le cadre familial, tout en pudeur et non-dits, n’est pas d’une grande aide pour favoriser son épanouissement.
« Moi j’étais bègue, c’est-à-dire que ma seule option pour ne pas sombrer dans le ridicule consistait à m’emmurer dans un silence digne. » (p.30)
Bien évidemment, Camille lorgne avec envie sur les figures populaires du quartier et du lycée, telles Elby Giacomazzi. Il y croit lorsqu’un jour Elby lui propose de se joindre à sa bande pour une soirée ; plus rude est la chute quand Camille se rend compte qu’il a été piégé, humilié et que sa vie devient une ruse constante pour échapper aux quolibets injurieux, venant même de gamines de treize ans.
Camille sait pourtant qu’il lui manque peu de choses pour espérer être intégré : gommer quelques traits de son visage, en revoir quelques lignes pour parfaire sa géométrie ; trouver en lui cette autre voix qui réussirait, enfin, à exprimer hautement et intelligiblement, tout ce qu’il pense et qu’il n’ose proférer.
Des alliés, Camille en a pourtant : la belle et fougueuse Annabelle, soeur d’Elby et chasse gardée d’un certain féminisme ; les exclus du lycée avec lesquels le jeune homme va entamer ses premiers pas d’étudiant dans la vie adulte ; Boris, l’improbable coach en séduction qui se démène pour faire toucher à ses « disciples » le saint Graal à talons et aux appétissantes formes féminines rebondies. Malgré tout, le destin s’acharne et Camille se voit attribuer l’étiquette d' »incel » pour « célibataire involontaire » : devenir un homme, il le voudrait bien, de toutes ses forces ; mais tous ses efforts, nombreux, se soldent par des échecs…
« Avoir subi les coups et les humiliations n’avait endurci personne ; au contraire, nous en déduisions quelque chose sur notre place dans l’espace public. » (p.100)
Alors, quel est l’homme dont rêvent les femmes et idéal auquel Camille ne semble pouvoir prétendre, lui qui est lesté de toutes ces fragilités ? La gent féminine ne peut-elle voir en lui l’amant ou l’amoureux potentiel qui, de toute la force de son cœur, aimera l’élue ? Pourquoi cette sélection ? Sur quels critères ? Que veulent les femmes, et comment y prétendre quand le destin s’acharne à vous priver d’un bonheur qui semble dévolu aux autres, mais pas à vous ? Surtout pas à vous…
« Le sexe : un pays où tout le monde est allé sauf nous. Nous, les égarés, les timides, les introvertis, les mal-poussés, les trop sensibles. Des laissés-pour-compte venus d’un peu partout qui mettent leur désespoir en commun » (p.214)
La voix d’homme est un très bon roman initiatique dans lequel le personnage principal, Camille, est un anti-héros des temps modernes, soumis aux injonctions sociétales d’être et de paraître ainsi que de performances en tous genres. Se pose la question de faire entendre, comme l’indique si justement le titre, sa voix d’homme, alors que l’on musèle à bien des égards toute tentative d’expression.
« La parole d’un homme est le reflet de son âme. Être, c’est dire. Au commencement était le Verbe. » (p.203)
Un portrait touchant, résolument atemporel, qui invite à dépasser le carcan des apparences. Sacré challenge…
La voix d’homme, Clément ROSSI, éditions GALLIMARD, collection SYGNE, 2023, 283 pages, 21€.
