A dévorer !

« L’affaire Rachel », Caroline O’Donoghue : au carrefour de nos vies

Rachel appartient à la classe moyenne de Cork, en Irlande. Pourtant, même si ses parents sont dentistes, la famille peine à affronter la crise qui tout doucement mais sûrement remet en question la stabilité financière de nombre de foyers en cette fin des années 2010. Alors, pour payer ses études de lettres, Rachel est obligée de travailler.

« On ne comprenait pas ce qui se passait avec l’économie. On savait juste qu’elle se portait mal, pas un mal normal mais un mal corrompu. » (p.158)

C’est ainsi dans la librairie où elle a trouvé un petit job qu’elle rencontre James Devlin, un jeune homme pauvre mais qui fait fi de son origine sociale par le charisme solaire qu’il dégage. De fait, Rachel ne tarde pas à nouer avec James une profonde et solide amitié. En quelques semaines, alors qu’ils se connaissent à peine mais que l’évidence s’avère réelle, ils emménagent ensemble. Si Rachel est bordélique à souhait, James est d’une maniaquerie absolue : et les deux comparses de se compléter, de se dorloter, de se protéger. Penseriez-vous à une quelconque intrigue amoureuse entre eux deux ? Oubliez : James aime les hommes, qu’on se le dise.

Dans tous les cas, le cheminement affectif de nos deux protagonistes est laborieux. Rachel a quitté Jonathan après une trop sérieuse relation alors qu’ils étaient à l’aube de leur vie d’adulte. Depuis, elle enchaîne les coups d’un soir, s’étourdit la tête dans des fêtes sans fin et sans but dès le jeudi soir, et tant pis si les fins de mois sont difficiles et les plaisirs de pacotille.

L’opportunité lui est donnée de trouver un nouveau sens à sa vie en la personne de son professeur de littérature, le Dr Byrne. Brillant, attirant, cordial et… marié. Rachel s’entiche, éternel fantasme peut-être de l’étudiante lambda, de son professeur, jusqu’à lui promettre une soirée dédicace à la librairie en l’honneur de la publication de son dernier roman.

« Le Dr Byrne était le seul autre homme dans ma vie dont les opinions m’importaient. » (p.42)

« Mais au cours des dernières semaines, mon culte du héros avait gagné en texture, en complexité. » (p.72)

Une ruse factice dont elle espère profiter. La soirée obtient un certain succès… mais ce n’est pas Rachel qui en récolte les fruits, malgré tout le mérite de son stratagème. Et là, il m’est impossible d’en dire plus, sous peine de divulguer un ressort essentiel de l’intrigue.

« D’une manière ou d’une autre, la vie a continué. » (p.291)

Retenez que la suite du récit va mettre à l’épreuve les choix amoureux de Rachel, la confronter à des choix de vie auxquels elle n’aurait jamais pensé avant d’y être, hélas, confrontée. Des questionnements qui trouvent un écho dans le domaine professionnel puisque, une fois diplômée sans avoir trouvé dans ses études le mérite nécessaire à l’obtention du Graal estudiantin, Rachel peine à entrer dans le monde du travail : faut-il sacrifier son potentiel talent pour un job alimentaire, ou préférer une ascèse financière pour mieux cultiver une suite prometteuse mais incertaine en devenir ?

« On jouait aux adultes, allant prendre des cafés et des sandwichs en journée. Partageant tous le même manque d’espoir quant à l’avenir, et nous lamentant ensemble sur nos diplômes inutiles. » (p.293)

Le récit de Caroline O’Donoghue est un sublime roman d’apprentissage : celui de Rachel, millenial décomplexée et paradoxalement tourmentée ; celui de James, ombre bienveillante, riche de ressources et d’inattendu, qui chemine de concert avec Rachel. Et l’amitié d’être célébrée comme une ancre solide lorsqu’autour de soi se déchaînent les passions malheureuses et les questions sans réponse. L’apaisement est-il à la clé du cheminement de nos protagonistes ? Laissez-vous porter par la qualité d’écriture du récit pour découvrir si rédemption il y a…

« J’avais déjà perdu tellement de dignité en 2010. J’avais besoin d’en retrouver un peu. » (p.320)

Gros coup de cœur.


L’affaire Rachel, Caroline O’DONOGHUE, traduit de l’anglais (Irlande) par Sylvie Doizelet, éditions MERCURE DE FRANCE, 2024, 362 pages, 24€.

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