
La jeune Claire, quatorze ans, est en plein spleen adolescent : ses origines rurales lui pèsent, son manque de popularité auprès des filles l’embête, l’attirance des garçons à son égard l’ennuie. Alors, pour conjurer ce mal-être latent, Claire oscille entre auto-mutilation et sombres lectures des textes les plus noirs de la littérature du XIXeme siècle, jusqu’à ce que Kurt Cobain, parfait archétype du malaise grunge, ne trouve un écho musical en elle. Et Claire de se réinventer, inconsciemment, en héroïne romantique des années 90.
« J’ai l’impression que tout ce que j’éprouve est dangereux. » (p.92)
Dans la petite bourgade de province où elle vit, Claire étouffe. Intérieurement, elle se débat, empêtrée dans des envies confuses d’un ailleurs forcément parisien dans lequel elle projette une autre version d’elle-même, forcément meilleure, obligatoirement libérée d’un carcan dont elle se sent prisonnière. Serait-ce cette image persistante de cette période lors de laquelle, enfant, elle a tout fait pour être un garçon, même couper ses cheveux longs ? Et qu’aujourd’hui, elle soit la seule fille dans l’équipe de hand de sa ville ?
« C’est la honte de sortir avec Claire car elle a voulu être un garçon, on me l’a déjà dit, ça m’a blessée, ça ne me blesse plus, c’est intégré. […] Voilà pourquoi je dois fuir Nuits, loin, très loin. Dès que je prends le train, je me sens mieux. A Nuits, je suis observée et jugée. » (p.78)
Claire ne voit dans le déroulement terne de sa vie qu’une éclaircie ponctuelle, en la personne de son professeur d’histoire-géographie, Marie Pasolini. Fraîchement diplômée et tout nouvellement affectée dans une contrée qu’elle ne connaît pas, le professeur perçoit assez vite que son élève a un profil atypique. Indéniablement brillante. Mais aussi étrangement insistante… ou furieusement étrange. De fait, lorsque le professeur accepte d’échanger avec Claire, la jeune fille pense avoir trouver l’amie de sa vie. Elle ne se doute pas que cette histoire ne sera bien évidemment qu’éphémère, que son professeur ne voit en cette tocade adolescente qu’un énième exemple de l’aura que certains enseignants peuvent exercer sur leurs élèves.
« Depuis son arrivée au collège, depuis le premier jour elle m’éblouit. La peur du noir s’efface, une autre peur bien plus forte surgit : la peur qu’elle disparaisse, qu’elle reparte d’un coup comme elle est arrivée. » (p.33)
Mais pour Claire, il en va d’autre chose. Si elle consent à envisager son rapport à Mme Pasolini comme relevant de la fascination, il y a un pas, affectivement autre, qu’elle n’ose même pas franchir. Et pourtant… Il y a dans le personnage de Claire un peu de l’effrontée gainsbourienne, sans l’ombre d’un doute.
Devenue adulte, brillamment diplômée et maman, Claire remet tout en question à la lumière de cette année de son adolescence. Et si quelque chose lui avait alors échappé ? Et si son destin entier ne devait alors pas être révélé par une clé, là sous son nez ?
« Est-ce que mon adolescence contient des réponses ou simplement des questions ? Est-ce que seules les questions comptent ? Est-ce que seule l’action compte ? » (p.191)
Deux temporalités, deux entités féminines qui s’entrechoquent, jusqu’à l’harmonie retrouvée. Cécile Guidot invite le lecteur à questionner ces intuitions qui souvent nous guident, qui parfois nous font peur, mais qui toujours s’avèrent véridiques. Le cheminement vers l’acceptation peut être chaotique, douloureux, mais lorsque tout s’éclaire, alors chaque indice reconstitué devient signifiant.
Ce nouveau roman de Cécile Guidot nous invite à assumer ce que l’on est, ce que l’on veut, sans crainte du regard d’autrui, sans peur du jugement, forcément ombre tenace lorsque l’heure du dévoilement sonne.
La fascination, Cécile GUIDOT, éditions JC LATTES, 2023, 205 pages, 20€.
