A dévorer !

« L’attraction du désordre », Michaël Cohen : triangle aux angles variables

Clara a passionnément aimé Simon, chantre de la nuit dans le club sélect qu’il tient depuis des années, malgré des difficultés financières qui chaque jour grèvent davantage son entreprise nocturne. Une idylle d’une puissance folle, initiée sur un coup de tête par Clara, prise au vol par Simon. En elle, il voit enfin LA femme qui pourrait le réconcilier avec la vie. Mais lorsqu’il prend conscience de ce que représente un tel engagement au cœur même de son chemin de vie professionnel, Simon quitte Clara, en pleine nuit. Si elle le vit comme une trahison violente et inattendue, lui concède sacrifier cet amour pour mieux protéger, pour mieux épargner celle qu’il ne cessera jamais vraiment d’aimer.

« Ils étaient la preuve, s’il en fallait une, que passer à côté de sa vie de peur de l’affronter n’avait rien d’un mythe. » (p.154)

Le cœur en miettes, Clara n’ose plus vraiment croire en l’amour. Surtout, ne plus penser à Simon, jamais, jamais plus. Jusqu’à Paul, et ce dîner improbable auquel elle ne souhaitait pas forcément participer. L’évidence, de nouveau. Peut-être moins passionnelle, moins viscérale, mais tout aussi intense. Très vite, les amoureux emménagent ensemble et Clara découvre avec joie le rôle de belle-maman, qu’elle choisit d’incarner avec gratitude et dévouement. Enfin un amour à la douce et simple puissance qu’ils pouvaient tous deux espérer !

Pourtant, lorsque le hasard lui fait apercevoir de nouveau Simon en pleine rue, Clara ne peut s’empêcher d’en parler à Paul. Une information factuelle, rien de plus. Mais pour Paul, c’est une étincelle qui peut potentiellement attiser les braises pour que l’incendie reprenne et que leur relation à eux ne soit plus qu’un modeste feu de paille. Alors qu’aucun nuage ne venait assombrir leur amour, Paul ne peut ôter de sa tête la prénom de Simon : est-il encore une menace ? Clara peut-elle tout quitter d’un coup de tête pour retrouver celui qu’elle a tant aimé et à cause de qui elle a tant souffert ? Au nom de l’amour, on aura vu bien des pardons être jurés…

« Aucune perversité de sa part, Clara avait tout simplement le désir de se présenter à Paul le plus honnêtement possible, telle qu’elle était et telle qu’elle avait été. Pour elle, la page était tournée, et sur une nouvelle page était écrit en énorme son prénom à lui, Paul. » (p.35)

« A quoi bon poser des questions qui ne feraient qu’augmenter son inquiétude et ne répondraient certainement pas à la plus cruciale d’entre elles : aime-t-elle encore Simon ? » (p.48)

C’est plus fort que Paul : jamais il n’a vu Simon et pourtant il le hante. Alors, pour conjurer le sort, il décide de profiter d’une absence professionnelle de Clara pour pénétrer dans l’antre des noctambules de Simon et enfin se confronter à l’homme ou, c’est selon, confronter son amour à celui, il l’espère révolu, de Simon.

La-dite rencontre ne se transforme point en joute virile. Par un savant stratagème narratif, l’attendue opposition se révèle se muer en cohésion fraternelle. Seulement, Clara ignore tout de cela et, lorsqu’elle-même décide de se confronter de nouveau à son passé en envisageant de retrouver Simon pour obtenir les réponses qu’elle n’a jamais eues, un terrible quiproquo va faire voler en éclats toute la dynamique du triangle « amicamoureux ».

« Il est impossible de ne plus aimer ceux que l’on a tant aimés. Les égarés qui s’en persuadent se renient tristement. […] Vouloir en faire le deuil est une erreur, accepter qu’il vive en soi est une victoire » (p.102)

Michaël Cohen narre, dans ce roman qu’on ne lâche pas, les ravages de la passion amoureuse, les choix et les renoncements qu’elle impose et, plus que tout, la relecture de ses relations à la lumière d’un présent qui, c’est selon, éclaire ou aveugle. Les personnages font preuve d’une certaine radicalité, et en cela perdent en crédibilité selon moi. Néanmoins, pour chacun, les décisions prises, aussi dures soient-elles, questionnent la capacité de l’être amoureux à endurer la souffrance et donc à espérer, à envisager une résilience possible ou, tout du moins, (in-)espérée.

« Mes actes aujourd’hui sont le résultat de mes choix et non plus d’une lutte contre ceux qui tentent de m’imposer les leurs… » (p.147)

L’attraction du désordre, Michaël COHEN, éditions ANNE CARRIERE, 2024, 154 pages, 17.90€.

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