A dévorer !

« Être mère », collectif : naître et n’être pas seulement…

Julia Kerninon, autrice que j’affectionne tout particulièrement, a proposé à six autres écrivaines contemporaines (Claire Berest, Adeline Dieudonné, Clémentine Beauvais, Victoire de Changy, Camille Anseaume et Louise Browaeys) d’évoquer leur maternité, la maternité, dans un court écrit personnel. Pour certaines, une aventure inaugurale que de parler de soi, à la première personne, et d’entrer dans l’intime.

Ainsi, chacune évoque son vécu et ses questionnements quant au fait de devenir mère : l’une évoque la difficulté de son accouchement naturel tandis que l’autre raconte le périple lacté de l’allaitement. Toutes concèdent l’aliénation de la mère à l’enfant (aux enfants), ce petit être qui, à peine posé sur le ventre maternel, exigera une quasi-exclusivité parentale toute sa vie durant. Consciente ou non. Assumée ou pas. Lumineuse ou tourmentée. Notre dévotion à nous, notre sacerdoce génétique et filial. Avoir peur à vie pour la chair de sa chair ; plonger dans un tunnel plus ou moins lumineux toute notre vie durant, au service ou auprès des enfants.

« La parentalité est un seuil qu’on ne franchit qu’une seule fois. On est soit dehors, soit à l’intérieur mais pour toujours. » (p.11)

Est-on jamais vraiment préparée à devenir mère ? Toutes font le constat que chaque avènement maternel est unique, n’en déplaise aux théories qui bien souvent font fi de toute la singularité de chaque expérience de mise au monde.

De façon unanime, les écrivaines revendiquent la possibilité de rester une femme malgré tout, contre tout. L’aliénation maternelle oui, mais ne pas s’oublier en tant que femme. Aussi, chacune évoque la possibilité de concilier leur passion d’écrire, leur envie d’aimer l’amoureux avec une passion nouvelle, avec tout ce qui relève de la sphère domestique. Être mère, mais pas que. Redevenir une femme, différemment, autrement… quand le temps le permettra. Conciliation, réconciliation : la nuance est infime.

Le collectif d’écrivaines célèbre avant tout la force innée dont toute femme est pourvue pour donner la vie, dans la souffrance souvent, et pour porter une nouvelle vie sur les chemins de l’autonomie et de l’indépendance. Reléguée depuis des millénaires dans l’ombre des hommes, la femme au pouvoir inégalé et inégalable de mettre au monde les générations futures n’est-elle en fait pas une reine suprême, une reine… mère ?

« Ne reste qu’à m’étendre et à me rendre plus élastique que je ne l’étais déjà devenue, les mères sont ductiles et souples, les mères s’étirent à l’infini. » (p.147)

Chaque récit se lit d’une traite et on sera sensible au style de chacune. J’ai particulièrement aimé le choix de Claire Berest de ne ponctuer son texte que de virgules et de points virgules, afin de signifier, dans une prose haletante, que dès lors que l’on devient mère, les pauses n’existent plus vraiment et que tout s’enchaîne. De même, Victoire de Changy relève différents aspects de la vie d’une femme une fois devenue mère et achève chacun d’eux par une question qui interroge le retour possible à une vie « presque comme avant ». Possible ? Douce utopie ?

Est-ce à dire qu’être mère revient à renier la femme que l’on était ? Il ne (me) semble pas. Un équilibre à gagner, à construire, avec le temps, entourée si possible. Et surtout, accepter ces nouveaux paramètres, à jamais ancrés et viscéralement fondateurs d’une nouvelle mythologie personnelle.

Beau, touchant, parlant.

« Être parent, c’est tenter de protéger un être autonome, relativement libre, le mettre en garde sans l’effrayer, l’entourer sans l’étouffer, l’accompagner sans s’imposer, arbitrer en permanence, en acceptant notre propre impuissance. » (p.51)

Être mère, sous la direction de Julia KERNINON, éditions de L’ICONOCLASTE, 2024, 156 pages, 18€.

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