A croquer

« La première faute », Madeleine Meteyer : déchus dès l’origine ?

Valentine Maradestère est la première à être tombée sous le charme de François Hovelacque, jeune étudiant en journalisme comme elle, au début bien indifférent à la beauté racée de la demoiselle.

« Il est fait pour elle, celui qui arrive dans la vie d’une fille et la fait devenir femme. Peut-être, sûrement même, qu’il n’est pas un mari, mais du moins un être sur qui elle s’appuiera pour affronter la vie. Pas toute la vie, c’est entendu, un moment seulement. » (p.28)

Il faut dire que même s’ils partagent les mêmes études, leurs avis politiques divergent totalement : l’un est un socialiste affirmé, séduit par les sirènes de l’anarchisme, tandis qu’elle ne jure que par le cadre rigide de la droite conservatrice. Pourtant, les deux étudiants font fi de leurs convictions opposées. Au pire, ils se compléteront dans les raouts intellectuels destinés à devenir leur sphère de mouvance.

« François est sa complexité, la preuve ultime qu’elle est autre chose que ce qu’elle semble être : elle est la copine d’un type à son opposé » (p.37)

Étourdis par leur amour, Valentine et François s’amusent à leurs débuts à pasticher les couples « traditionnels » : s’en moquer pour davantage se donner l’illusion d’être différents, peut-être mieux, s’éloigner de l’engluement dans lequel semblent s’enliser même les couples les plus passionnés.

« Le mariage est un enfer, qu’on leur a dit : ils ont marché ver sleur tombe en chantant, sachant qu’ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre, assez sûrs que ça tournerait mal. » (p.112)

Pourtant, Valentine et François ne valent pas mieux que les couples lambda : la venue de leur premier enfant confronte Valentine à son manque d’instinct maternel et son profond ennui pour toute chose relative à la maternité. Jouer à la maman reste amusant un moment. Contre toute attente, alors que leur couple s’étiole, miné par l’aigreur grandissante d’une Valentine dépossédée de toute carrière professionnelle alors que François jouit d’une solide réputation de grand reporter, deux enfants se succèdent. Après tout, Valentine n’a-t-elle pas fait le deuil de ce qu’elle ne sera plus ou ne pourra plus être ?

La famille Hovelacque devient un terrain miné : François redoute de rentrer chez lui, progressivement dépossédé de son rôle de père et tout entier sous la coupe de son « espouse », dont il ne peut que redouter les atermoiements successifs. Les pardons implorants succèdent aux colères flamboyantes. L’équilibre est en péril, et le pire se doit d’être redouté, même par ceux qui à l’origine s’en moquait allègrement. Entre idylle et enfer, peut-il y avoir un espoir de rédemption ?

« Il lui semble soudain qu’il n’en peut plus depuis des années, chaque jour ces mêmes moues de comédienne, ce même dédain glacé censé masquer une nature brûlante, ce système nerveux mal équilibré. » (p.134)

Dans ce récit à l’ancrage temporel très flou (on a l’impression de commencer le roman dans les années 70, pour comprendre que l’on est bel et bien dans les années 2000) tant les références et la manière d’être et d’agir des protagonistes peuvent paraître anachronique, il est question de bataille : idéologique – sociale – sentimentale – familiale…

« il faut se fier aux gènes : ils accomplissent toujours leur travail de sape » (p.28)

Des bras-de-fer continuels, tant dans la sphère personnelle que professionnelle, qui mettraient à l’épreuve le plus aguerri des couples. La faute peut-être à Valentine et François de s’être crus intouchables, que la fatalité d’un déterminisme latent pouvait les exempter de tout destin tragique. Las… D’exemplarité en amour il n’y a sans doute pas, quitte à paraître désabusé. Y croire nourrit une illusion cruelle, et les victimes qui en paient le prix ne sont pas celles que l’on pense.

« ça ne dure qu’un temps cette impression de s’être créé soi : on ne lutte pas contre son sang, on ne peut que le diluer en viciant celui d’un autre. » (p.330)

Ce premier roman de Madeleine Meteyer est profond, intellectuellement riche de réflexions (parfois complexes) nourries qui lui donnent l’éclat d’un hors-temps. Mais ce vernis, aussi brillant soit-il, s’écaille, mis à l’épreuve par les tensions, les contrariétés qui, un jour où l’autre, fendille la plus solide des armures.


La première faute, Madeleine METEYER, éditions JC LATTES, 2020, 331 pages, 19.90€.

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