
Anna Zeller, 29 ans, professeur de français de son état, est tirée au sort pour être jurée d’assises. Si elle espérait passer à travers les mailles du filet de ce rôle que presque tout citoyen peut être amené à endosser, et bien c’est raté.
« Des gens ordinaires entre les mains desquels on place un pouvoir incommensurable. » (p.121)
L’affaire ? Gilberte Gagneron, 73 ans, a été retrouvée morte à son domicile. Des marques de strangulation autour de son cou, un flacon d’antidépresseurs près d’elle. Les coupables tout désignés ? Son petit-neveu, Frédéric Gagneron, et sa compagne, Lucile Moulin. Le motif envisagé ? Un crime machiavélique pour mettre la main sur l’héritage de la vieille demoiselle fantasque.
Anna dispose, avec les autres jurés, de cinq journées éprouvantes pour déterminer son verdict. Le couple maudit est-il réellement coupable, ou bien victime d’une possible machination ? Tout semble les accuser, c’est une évidence, et les interrogatoires successifs tendent à les confondre de façon implacable.
Comment parvenir à la vérité lorsque l’on sent que des zones d’ombre demeurent ? Comment faire émerger l’intuition comme une preuve évidente de culpabilité ou d’innocence ?
« Du sommet de ma crête, entre les deux falaises, l’innocence ou la culpabilité, la chute me semblait trop violente. » (p.105)
L’expérience est d’autant plus éprouvante pour Anna que cette affaire judiciaire met à jour ses propres blessures familiales, pas tout à fait cautérisées : alors qu’elle était enfant, sa petite cousine Aurore a été enlevée. Jamais elle n’a été retrouvée et le doute plane encore sur les membres de la famille de la jeune femme. Des traumatismes enfouis, un mutisme forcé : tout a été recouvert du voile terne d’un linceul.
« Il a fallu attendre que je sois mêlée à un procès, à un foutu procès qui ne concerne même pas Aurore, pour que des mots soient arrachés à notre passé. » (p.213)
Alors, lorsque l’une des jurées reconnaît Anna comme étant l’une des protagonistes du drame de son enfance, c’est le choc, et les deux affaires entrent en collision dans la vie d’Anna. A la lumière de l’affaire Gagneron, notre héroïne peut-elle espérer relire l’histoire de son passé et y découvrir de nouveaux indices pour enfin l’apaiser ? Quelle part de nous chaque famille oblitère-t-elle ?
« Au rendez-vous des souvenirs, les absents ont toujours tort. Le vide qu’ils laissent, on le remplit de tas de certitudes qui ne ressemblent à aucune réalité. De mensonges aux autres, et surtout à soi-même. » (p.224)
A travers des familles éclatées et morcelées par le sceau du crime, Claire Jéhanno livre une réflexion sensible sur le poids des responsabilités, de la confrontation en chacun de nous de la raison et des sentiments. Nulle vérité ne semblerait être acquise facilement : la chercher, l’appréhender et finalement l’accepter relève de l’errance initiatique. Qu’apprend-t-on de soi à ce prix ?
La jurée, Claire JEHANNO, éditions HARPER COLLINS, 2023, 293 pages, 8.30 €.

Trouver sa propre vérité dans des histoires de famille parmi des souvenirs enfouis depuis longtemps, des non-dits… c’est une réelle psychanalyse !
Quant à être juré aux assises, je pense que c’est très inconfortable, voire traumatisant.
Mais je le glisse dans la PAL !
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Tu as raison ! Dans tous les cas, un récit qui cerne parfaitement ce que de telles expériences ont d’éprouvant…
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