
Marianne n’a que quinze ans lorsqu’elle fait le voeu, irrévocable, d’aimer « absolument et pour toujours » son premier amour : Simon Hurst. Pour elle, il incarne l’absolu masculin : beau, ténébreux, intelligent (comment ne pas l’être quand on brigue une place d’étudiant à Oxford ?). Bref, l’homme de sa vie. Alors, sans plus attendre, elle se donne à lui. Après tout, pourquoi remettre à plus tard ce qui un jour adviendra forcément ?
« – Je crois que je t’aimerai toujours, Simon. Absolument et pour toujours. Alors il se tourna vers moi et me sourit. » (p.34)
Les journées loin de lui sont longues, très longues, et Marianne se consume d’ennui à la pension où ses parents espèrent lui inculquer quelques vagues notions pour lui faire prendre du plomb dans la tête. Mais les préoccupations de la jeune fille sont tout autres et seule compte l’arrivée des missives de son bien-aimé.
« j’avais la tête si pleine de mon obsession pour Simon que je craignais de devenir complètement idiote. » (p.39-40)
L’idylle fantasmée devient tragédie le jour où Simon rate son entrée à Oxford et est invité à tenter sa chance – et accessoirement sa vie – ailleurs. Il part pour Paris, d’où il fait miroiter à Marianne la vague promesse d’une vie à deux là-bas. L’adolescente se nourrit de ces perspectives, tant que la conviction de devenir Mrs Hurst un jour reste d’actualité.
Las, on le devine, rien ne se passe comme elle l’aurait espéré et ses espérances volent en éclats. Avec elle, l’envie de devenir quelqu’un. Elle ne sera jamais Mrs Hurst, alors qu’importe à présent ce qu’elle pourrait bien devenir. Ses parents, bien embarrassés du manque de relief de leur fille, si vous me passez l’expression, l’envoient à Londres pour qu’elle apprenne le métier de secrétaire : un apprentissage laborieux, poussif, ponctué de rencontres éphémères et vaines. Marianne fait le triste constat de la vacuité de son existence, absolument convaincue que rien ne pourra jamais pallier l’absence de Simon. Un vaste et déplorable fiasco…
Au final, Rose Tremain nous conte une vie par défaut, des choix qui n’en sont jamais vraiment, des décisions subies et une indolence quasi-pathologique. Cela pourrait nous rendre le personnage de Marianne antipathique, et pourtant, c’est plutôt de la pitié que nous éprouvons pour elle : après tout, on a là une héroïne dont les espoirs naïfs, à peine nés, sont brisés en plein vol. Marianne est abusée dans sa croyance en l’amour. Comment encore espérer en l’amour quand l’expérience inaugurale est marquée au fer rouge du sceau de la trahison ?
« Car maintenant, à l’âge de vingt et un ans, j’avais l’impression de ne pas être celle que j’avais imaginé devenir. » (p.151)
Difficile pour Marianne d’oublier Simon, qu’elle a juré d’aimer « absolument et pour toujours ». Comment alors envisager vivre l’entièreté des événements à venir ? La béance peut-elle être un jour comblée par quelqu’un d’autre ? Autre chose ? Faut-il renier l’espoir d’une vie meilleure lorsque la déception demeure, latente ? Faut-il se renier soi-même dans ce que l’on peut souhaiter, espérer, désirer ? Rose Tremain suggère avec délicatesse les tourments de l’apprentissage amoureux, fait de heurs et de malheurs et nous livre le touchant portrait d’une héroïne qui n’aspire qu’à vivre ses aspirations « absolument et pour toujours. »
« J’expliquai que tout mon être était attaché à Simon et le serait toujours. » (p.77)
Absolument et pour toujours, Rose TREMAIN, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Françoise du Sorbier, éditions JC LATTES, 2024, 248 pages, 21.90€.
