
S. s’est échappée le temps d’un week-end avec M., son amant depuis huit ans, dans un chalet montagnard. Une escapade romantique pour se retrouver et s’aimer à l’abri des regards et de l’épouse trompée, Camille.
M. meurt accidentellement à l’aube du premier jour. Noyade supposée. Seulement, S. ne conçoit aucunement d’appeler les secours pour procéder aux démarches que les circonstances imposent. Non, pour quelques heures, quelques jours encore, elle veut l’exclusivité de M., aussi rigide et gris soit-il devenu.
« Je ne suis rien. Mais M. a besoin de moi. Ou j’ai besoin de veiller sur lui. Je ne l’abandonnerai pas. » (p.19)
Aussi, elle chérit ce corps dépourvu de vie, faisant fi de la lente dégradation déjà à l’œuvre. Cet homme, elle l’a aimé de toutes ses forces, de toute son âme. Chaque parcelle de son corps a vibré sous ses mains, ses baisers et sa tendresse. Alors, elle n’hésite aucunement à embrasser encore son amant sans vie, froid et livide.
Pourtant, il lui faut échapper à la vigilance générale : entreprise guère aisée que de transporter un macchabée. Mais à cœur vaillant… Commence alors l’étrange déambulation d’une maîtresse qui refuse le départ de son âme sœur, consciente aussi que cet homme qu’elle partageait n’aurait jamais quitté sa femme. Mais S. doit à M. sa réconciliation avec le genre masculin, elle qui a été malmenée par des rencontres toutes plus ou moins malheureuses. Que Camille lui pardonne : elle ne lui veut point de mal. Juste célébrer même après la mort l’amour qui fut et qui restera.
« M. m’a appris à prendre ma place, à prendre forme. Avant lui j’étais une matière molle, presque liquide, qui s’ajustait aux nécessités de l’autre. […] Je me suis solidifiée à son contact, un noyau s’est formé au centre la matière molle. » (p.127)
S. peut-elle aller bien loin en trimballant dans sa voiture un cadavre ? Sa fuite en avant, dont elle ignore la destination, n’est-elle pas une esquive de la réalité cruelle du départ, du manque, de l’abandon ? Hérésie, folie : ne dit-on pas que l’on peut aimer jusqu’à perdre la raison ? S. incarne ce proverbe, mais montre aussi que dans tout acte déraisonnable se cache une certaine logique, ici touchante et sensible : un acte désespéré pour tenir à distance la mort et se draper dans l’illusion de la permanence de l’être aimé, malgré tout.
« Je ne suis pas certaine, à ce jour, d’avoir pleinement saisi ce qui m’est arrivé, ni ce qui m’a conduite à agir comme je l’ai fait. Certains matins tout me semble limpide, résultant d’une logique évidente, ruisselant au gré de mes forces extérieures, de mon désespoir, de mes atavismes. A d’autres moments je me vois comme un monstre, une créature que je ne reconnais pas, qui m’aurait possédée dans un moment de vulnérabilité. » (p.66)
Quand la folie touche au sublime… Un acte d’amour ultime, qui gagne le pari de nous affranchir de tout condamnation, tant S. s’avère pétrie d’une humanité confondante.
Un récit original, qui questionne les limites du dévouement dans l’acte d’aimer.
« je crois qu’on ne s’aime vraiment qu’à l’ombre de la mort. Ou quelque chose comme ça. » (p.168)
Reste, Adeline DIEUDONNE, éditions L’ICONOCLASTE (poche), 2023, 239 pages, 8.30€.
