A dévorer !

« Divorce à la française », Eliette Abécassis : à feu et à sang…

Antoine Maurepas, chirurgien viscéral, rencontre la belle Margaux Lunel, écrivaine à succès. Le coup de foudre, l’attraction immédiate… Ferré, possédé, c’est la femme de sa vie, terrassée par la maternité peu après leur mariage. Alors il sera le roc, le pilier, quitte à s’épuiser, pourvu que sa femme et les enfants soient hors de danger. Mais Margaux n’est-elle pas en elle-même un danger ? Alors Antoine se sacrifiera sur l’autel matrimonial…

« Oui, c’était ainsi qu’elle voyait notre couple : un rapport de force entre deux êtres qui se détestent et qui s’attachent, s’acharnent l’un contre l’autre sans vraiment s’aimer, jusqu’à la mort. » (p.22)

La belle Margaux Lunel, autrice de talent, rencontre Antoine Maurepas un peu par hasard. Et elle de se dire pourquoi pas, même sans le déclic. Peut-être même a-t-elle senti dès le début qu’elle aurait dû fuir, ne pas s’entêter à faire tenir debout une histoire sans doute vouée à l’échec. Margaux a flairé qu’avec Antoine rien ne serait simple, mais l’orgueil et l’équilibre de ses enfants l’ont emporté sur les signaux. Ceux qui l’ont très vite prévenue qu’elle était en danger… Mais Margaux s’est sacrifiée.

« De son sourire, on pouvait se remplir, se nourrir, et tomber. Sous le charme, ou dans le panneau. » (p.57)

Dissonance initiale, on le comprend, dans un couple qui s’aime rapidement, fugacement et se déchire sur la durée avec efficacité. Qui croire ? Quelle vision d’une relation conjugale recevoir ? Celle qui fait passer Antoine Maurepas comme un époux martyr, exclusivement dédié au bien-être mental de sa femme ? Ou celle qui crucifie Margaux en victime d’un conjoint machiste, violent et despotique ? Les dépositions auprès de la Présidente du tribunal se succèdent : des contradictions apparaissent entre le récit des uns et des autres. Il y a ceux qui défendent, ceux qui accusent. Tout du long, on se prend à douter : qui dit vraiment la vérité ? Qui est de bonne foi et dépasse la revendication de ses intérêts personnels pour espérer garantir sa vie sauve ? A grands coups de saillies mensongères et d’éclats de vérité, nous cheminons dans un marasme de considérations parfois mesquines, pataugeoire glauque dans laquelle piétinent et s’embourbent bon nombre de couples qui se déchirent. Coups bas, vérité éhontée, tout semble permis. Un divorce à la française dont l’élégance des protagonistes pare l’horreur de motivations qui se révèlent témoignages après témoignages.

Et le lecteur d’être, telle la juge, pris à partie : pour qui sa raison l’emportera ? D’Antoine ou de Margaux, qui saura le convaincre de sa bonne foi ? Sera-t-il en mesure de discerner les vrais mensonges et les fausses vérités ?

« Tout est encore possible et évitable. Demain, il sera trop tard. » (p.47)

Eliette Abécassis livre un roman phénoménal sur le couple en disséquant au cordeau le mécanisme de la spirale destructrice en son sein. La violence, latente, n’est pas que physique : on perçoit le malaise psychique et moral du personnage que l’on pense être (il est important de modaliser, jusqu’au bout) la victime. Le récit se veut charge sociale aussi, en dénonçant le sort des enfants pris entre deux feux, ballotés d’un belligérant à l’autre, au nom de l’équité de la garde partagée : pense-t-on vraiment jamais à eux et à la scission qui en eux restera fracture éternelle ? Eliette Abécassis livre sur ce point de très belles pages, fortes d’une empathie nécessaire.

« Un monde s’est ouvert à moi, différent de celui que je croyais connaître. Un monde de chiffres, d’argent et de haine où tous les coups sont permis, où les enfants sont des outils, des armes pour atteindre l’autre. » (p.107)

Un texte coup de poing, littérairement virtuose.


Divorce à la française, Eliette ABECASSIS, éditions GRASSET, 2024, 279 pages, 20.90€.

2 réflexions au sujet de “« Divorce à la française », Eliette Abécassis : à feu et à sang…”

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