A dévorer !

« Fort Alamo », Fabrice Caro : cerné !

Cyril Jacquemin est monsieur tout-le-monde, un anti-héros incarné qui se contente d’une vie tranquille entre ses heures de cours au lycée et des moments privilégiés avec son épouse Léonie, ses enfants Aurore et Clément.

Éprouvé récemment par le décès de sa mère, Cyril peine à envisager la mise en vente de la maison familiale, même si son frère Laurent l’y presse vivement. Trop de souvenirs y sont encore ; parfois même a-t-il l’impression d’entendre la voix de sa maman regrettée.

Or, un jour où il s’apprête à déposer ses achats sur le tapis de caisse du supermarché, Cyril est doublé par un autre client. Quelque peu contrarié mais fort poli et policé, notre protagoniste s’abstient de toute remarque. Sa colère fond comme neige au soleil lorsque le quidam s’écroule quelques mètres plus tard, victime d’un AVC.

Passablement ébranlé et perturbé dans leur rôle qu’il aurait dû tenir, Cyril se questionne : est-ce un châtiment divin qui s’est abattu sur la tête (ou le cœur ?) du client incivil ? L’enseignant s’en tient là, jusqu’à ce que de nouveaux faits autour de lui l’amènent à une théorie : et si c’était lui, Cyril Jacquemin, qui provoquait tous ces décès ? Et si c’était sa contrariété qui engendrait la mort quasi-immédiate de tous ces fâcheux qui enquiquinent son quotidien ?

« Deux décès en l’espace d’une semaine […]. Ces derniers temps, statistiquement, je fréquentais beaucoup la mort. » (p.33)
« Elle a ajouté en regardant dans le vague, la main toujours sur ma joue, Ben dis donc, c’est la loi des séries. » (p.47)

Et notre héros de se recouvrir d’une sueur froide : il doit s’abstenir de tout sentiment de colère sous peine de provoquer la mort immédiate de quiconque lui fait subir un affront. Mais alors… le repas de Noël à venir avec son insupportable belle-sœur ? et ce petit caïd qui embête injustement Clément à l’école ? La prise de conscience est terrible : Cyril est un danger ambulant !

« Je fais mourir les gens, je provoque des AVC chez les gens qui m’irritent. » (p.114)

Pur délire psychotique ou obsession pour la mort d’un homme devenu orphelin trop tôt ? Fabrice Caro nous embarque une nouvelle fois dans son univers délicieusement décalé : d’un cadre absolument banal, il fait surgir l’improbable, l’incongru. Saisissons l’invitation au vol : derrière chaque situation cocasse du récit, se cache une réflexion sur la vie et sur la mort. A notre héros de réussir à les faire dialoguer et trouver l’apaisement dans la résolution de ses peurs métaphysiques.

« C’était à moi et à moi seul d’agir. J’étais bien trop esclave de mes pulsions animales pour me trimballer avec un pouvoir pareil. » (p.136)

Un pur régal de lecture, comme toujours avec l’inégalable Fabrice Caro, fidèle à sa trame d’une narration menée à la première personne par un personnage masculin, aux prises avec les dissonances de la réalité environnante.


Fort Alamo, Fabrice CARO, éditions GALLIMARD, collection SYGNE, 2024, 174 pages, 19.50€.

1 réflexion au sujet de “« Fort Alamo », Fabrice Caro : cerné !”

Laisser un commentaire