
Agnès Plée, l’aînée du fratrie issue de la noblesse désargentée parisienne, est un pur produit du conservatisme catholique. Biberonnée dans les us et coutumes de traditions liées à sa caste, la jeune fille fait ses études à la Légion d’honneur. A son issue, un raout ultra couru, gage d’y trouver un bon parti tout droit issu de Saint Cyr Coëtquidan : le Triomphe, rallye suprême où bien des unions – forcément chastes jusqu’au mariage – se nouent. Chaque prétendante y vient le cœur gonflé d’espoir, sachant par avance que son destin, une fois scellé à un futur haut gradé militaire, héraut patriotique des temps modernes, sera celui d’engendrer à son tour une nouvelle famille. Des enfants nombreux, des déménagements selon les affectations de l’époux. Mère patrie, père parti, femme aux attentes imparties…
Agnès frémit de désir à cette perspective ancestrale qu’elle tient elle-même à perpétuer, même si elle doit avouer envier ponctuellement les libertés que prennent en secret ses plus jeunes sœurs. A l’issue du Triomphe, c’est Hugues Lanafoërt qui incarnera la mise en œuvre de son destin d’épouse et de mère au foyer.
« Nous avions le temps de refaire le monde, le temps et l’envie. Nous savions que ça n’allait pas durer, des enfants allaient arriver, et je savourais ce sursis. » (p.32)
« Personne n’avait de doute sur la nature du vrai travail auquel j’étais destinée. » (p.34)
La lune de miel est de courte durée. Hugues est un taiseux, souvent absent du fait des missions militaires qu’il doit mener. La patrie avant tout. La famille juste après. Seulement, le ventre d’Agnès reste résolument plat. Mise à l’épreuve divine du couple ? Hugues se résigne mais persiste à espérer engrosser sa femme. Agnès désespère quant à elle de ne pouvoir être mère. Les annonces de grossesses, nombreuses dans son milieu, sont des crève-cœurs : pourquoi ses proches sont-elles donc si fertiles, alors que tout semble n’être qu’aridité pour elle ?
Afin de tromper l’ennui de journées tout aussi stériles que son ventre, Agnès assure l’écoute téléphonique d’une association anti-avortement. Dévouée et soucieuse de répondre aux exigences de sa religion, elle use de toutes les stratégies dont elle dispose pour faire renoncer des aspirantes à l’IVG à ce qu’elle considère comme un crime.
« Dissuader des femmes d’avorter, tel était mon rôle, c’était comme ça que j’allais devenir une meilleure personne. » (p.120)
Mais n’est-il pas ironique de plaider pour la vie auprès de femmes qui souvent se retrouvent enceintes sans l’avoir demandé, alors qu’Agnès, elle, pleure toutes les larmes de son corps tous les vingt-huit jours ?
« dans quelle curieuse posture je me trouvais, à passer mes journées à recueillir la parole de femmes que la grossesse touchait comme une malédiction. » (p.124)
Le désespoir a raison de l’endurance et de la force morale d’Agnès. Si son ventre ne peut accueillir la vie, alors pourquoi œuvrer pour des ingrates qui ne mesurent même pas leur chance ? Et la jeune femme de fomenter un projet bien loin de la charité chrétienne dont chaque cellule de son corps et de son âme est pétrie : exutoire funeste à des désirs inassouvis, notre héroïne bascule dans le Mal. Sa confession, dont tout le récit se fait la voix, suffira-t-elle à lui accorder le pardon et l’absolution de son crime ?
« Je suis folle, n’est-ce pas ? Je parie que vous avez depuis bien longtemps établi votre diagnostic. » (p.235)
Romane Lafore signe un récit très fort qui questionne la dualité inhérente à la conception chrétienne du monde, scindé entre le Bien et le Mal. Sa protagoniste, déchirée dans ses atermoiements moraux, incarne les paradoxes d’une religion exigeante pour mieux éprouver ses ouailles. Entre obéissance et rébellion, Agnès s’enfonce dans le chagrin, la colère et la frustration. Forcément, il n’en ressortira rien de bon. Néanmoins, le lecteur, mis dans la position du directeur de conscience, saura-t-il lui accorder son pardon, à la lumière d’une confession déchirante d’humanité ?
« Je suis venue admettre les crimes que j’ai commis. Que j’ai commis seule, en mon âme et conscience. » (p.106)
Quelques longueurs, liées à la répétition, que l’on excusera, tant le propos du récit est inédit et rudement bien écrit.
La confession, Romane LAFORE, éditions FLAMMARION, 2024, 254 pages, 20€.

Sujet ô combien féminin et difficile à vivre pour ces femmes qui ne peuvent enfanter.
Entre les règles de la bourgeoisie, de l’Eglise, de la médecine, etc… comment y trouver son chemin personnel ?
A ranger dans la PAL !
Merci pour cette découverte 1😉
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