A goûter

« Théorie de la disparition », Séverine Chevalier : personne(s)…

Mylène vit dans l’ombre de son mari, Mallaury, un écrivain célèbre passablement misanthrope. Toute sa vie durant, elle s’est volontiers mise à son service pour lui assurer l’ignorance de l’intendance de ses affaires. Un dévouement assumé sans recherche d’une quelconque contrepartie.

« 

« Cela ne me pèse pas. J’ai à cœur que les autres comprennent que c’est un homme bon, au fond. J’y travaille à ma façon, bien que petitement, en souris grisâtre, patiente et attentionnée. » (p.27)



« j’éprouve une sourde et suave satisfaction, je dois bien le reconnaître, à me soucier magistralement de tout » (p.31)

Mais alors que l’écrivain bénéficie d’une résidence de trois mois près d’une centrale nucléaire pour son prochain roman, Mylène décide de disparaître en se cachant et en osant à son tour se lancer dans l’écriture. Sans prétention une nouvelle fois, car ce n’est pas son genre. Disparaître pour renaître à elle-même.

« Je m’échappais pour la première fois de son orbite, je fuyais pour de vrai. » (p.91)
« jour après nuit j’essaie d’écrire, je tâtonne, je supprime, je transforme, je ressens pourtant une sensation de corps qui prendrait chair, une perception de corps vivant, qui n’aurait plus besoin de devenir ustensile pour les autres, transparence, excuse continuelle d’exister. » (p.106)

C’est alors l’occasion pour cette noble épouse de presque soixante-dix ans de songer à tous ses proches qui ont disparu : tantôt parce qu’un aïeul a tué son épouse ; tantôt parce qu’une amie a fugué ou a été enlevée sans que l’on retrouve sa trace… Les motifs et les nuances des disparitions sont plurielles. D’ailleurs, si elles sont physiques, elles sont aussi de l’ordre de la psyché : que fait-on disparaître de soi parfois ? Que gomme-t-on pour telle ou telle raison ? De l’affection ? De l’empathie ?

Lorsque Mallaury en vient à disparaître lui aussi pendant sa résidence, Mylène s’interroge : l’œuvre a-t-elle avalé le créateur ? Pourquoi s’effacer sciemment ?

Le roman propose donc bel et bien une théorie de la disparition. Fragmentée entre le présent et le passé, multiple, de la narratrice, Mylène. Des correspondances se font écho, et une complexité de l’effacement naît progressivement. Dans tous les cas, en choisissant de disparaître, la narratrice fait renaître les figures disparues de sa vie, un paradoxe forcément littérairement bien trouvé.

« Quelqu’un se transforme en personne, et c’est peut-être ce tour de quasi-prestidigitation qui rend si difficile, voire impossible, plus tard, de l’évoquer » (p.159)

Pourtant, c’est sans réelle passion que j’ai lu ce roman, qui est en lui-même une mise en abyme du roman que Mylène entreprend d’écrire une fois cachée de tous, dans une entreprise de work-in-progress. Les fragments du présent et du passé se mêlent, dans une langue très littéraire, parfois même ardue (courage, il faut dépasser les premières pages). Autant être honnête, je n’ai aucunement accroché au récit et me suis passablement ennuyée, guettant avec impatience la fin d’une intrigue somme toute assez éthérée, mais je salue l’entreprise complexe d’élaboration littéraire qui demande au public une certaine exigence de lecture.


Théorie de la disparition, Séverine CHEVALIER, éditions LA MANUFACTURE DE LIVRES, 2025, 167 pages, 14.90€.

3 réflexions au sujet de “« Théorie de la disparition », Séverine Chevalier : personne(s)…”

  1. Merci pour cette analyse ! Je salue ton dévouement pour aller jusqu’au bout du roman, alors qu’il n’accroche pas.
    J’en suis incapable dans ce cas, il m’arrive de lire environ 80 pages, et là, je prends ma décision d’arrêter…
    Bonnes lectures à venir !😉

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    1. Le livre n’était pas long, c’est ce qui fait que j’ai persisté. Sinon, aucun scrupule à arrêter, tout en respectant le travail de l’écrivain. Il en faut aussi du courage pour arrêter, ne crois-tu pas ? Belles lectures également, et merci pour ton si chaleureux et appréciable suivi ! 🙂

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