Il y en a eu beaucoup, de ces familles de cultivateurs qui ont imposé à leur descendance de perpétuer le travail de la terre, faisant fi des aspirations des uns et des autres. Le courage et la ténacité chevillés au corps pour chérir une terre parfois cruelle et souvent avare de véritables récompenses.
« Quel avenir ? Quel avenir pour les siens ? […] Une ferme qui se meurt ? » (p.38)

La famille Morel est de celles-là. Le père, Lucien, a voué sa vie à ses parcelles, et il compte bien que ses deux fils, Albert et Victor, prennent la suite. Si le premier ne moufte pas et courbe le dos, docile et discipliné, Victor s’insurge : il ne crèvera pas de misère dans ces sillons de malheur. Il se sait appelé à bien mieux, bien plus grand : les terres, il peut les vendre, multiplier les constructions et en tirer un profit bien juteux.
« Victor a peut-être raison au fond, peut-être bien, oui, mais voilà, tout quitter et partir, c’est comme tuer le père une seconde fois, et cela, Albert ne peut s’y résoudre. Il a juré, craché. Il s’y est engagé auprès de son père. Un Morel honore sa promesse ou se tait à jamais. » (p.39)
Redoutable bonimenteur mais ayant foi en l’opulence de son destin, Victor fait preuve d’audace et quitte Le Ring, ce fief décati et séculaire dont lui ne veut plus. Son objectif : conquérir la ville voisine de Saint-Verne, dompter son avenir au nom de l’immobilier et de ses fructueuses perspectives.
Les années lui donnent raison. Tel un Rastignac des temps modernes, Victor Morel se hisse au sommet, aidé par de solides relations, quand bien même elles seraient plus ou moins licites. En lice pour devenir maire de Saint-Verne, il ne lui reste plus que quelques modestes hectares à gagner pour enfin achever sa conquête. Mais ces terres à prendre ne sont pas les moindres : ce sont celles de son enfance, celles du Ring, et sa belle-sœur, Marie, les défend âprement, au nom de cet héritage agricole peut-être désuet mais si important à son cœur. David et Goliath en terre provinciale : tous les coups sont permis, aussi funestes soient-ils…
« Combien de temps encore pourront-ils résister, cette poignée d’hommes et de femmes qui vivent en quasi-autarcie sur ce caillou flottant ? Ils se savent tous menacés par la pression immobilière. Les premiers chantiers sont en cours d’ailleurs… la faute à qui, à quoi ? Au renoncement des uns ou à l’appétit des autres ? » (p.122)
Roman qui questionne le déterminisme social ainsi que la lutte fratricide entre l’urbanisation dévorante et la tentative de survie néo-rurale, Le Ring bouscule les valeurs qui animent notre modernité : tout entiers à notre confort moderne, n’oublions-nous pas l’enjeu d’une vie dépouillée des artifices consuméristes dont on nous abreuve ? Le récit tend clairement à faire l’apologie d’une vie simple, démontrant de façon pertinente que l’opulence n’est pas gage d’un bonheur pérenne.
Mickaël Maublanc, dans ce remarquable premier roman, conte aussi avec justesse les destins que l’on embrasse et ceux qui sont contrariés par la volonté paternelle. Il est ainsi question d’audace, de révolte mais aussi de renoncement et de sacrifice. Ainsi, en filigrane, se lit une tragédie du quotidien, admirablement jouée sur ce « ring » qui tient lieu de scène.
On ne pourra que saluer la grande qualité littéraire du style de l’écrivain : c’est juste, bien écrit, aussi bien poétique qu’ironique et érudit juste ce qu’il faut. Une pépite dévorée en deux soirées, un texte aux thématiques que j’affectionne (famille – roman social – déterminisme) que je vous conseille vivement.
Le Ring, Mickaël MAUBLANC, LIBRINOVA, 2025, 186 pages, 18€90.

Voilà une belle histoire de chez nous, de notre patrimoine terrien et familial. Qui n’a pas connu ou entendu parler de ce genre d’affaire ?
Allez hop, dans la PAL.
Bonnes lectures. 😉😎
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J’ai adoré ! Bonne lecture 🙂
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