A dévorer !

« 34m² », Louise Mey : l’emprise du huis-clos

Après plusieurs années d’emprise par un homme violent et manipulateur, Juliette a recommencé sa vie. Le sachant derrière les barreaux d’une prison, la jeune femme a ré-appris à vivre à peu près normalement : elle a changé de ville, a fait un bébé toute seule et reconsidère chaque nouvelle journée d’un œil plus serein. Même si, elle le reconnaît, le passé la hante, à travers une ombre vaguement familière, un parfum qui lui est devenu odieux.

Ce matin-là, Juliette s’est réveillée d’une douce nuit : la petite Inès a dormi sept heures d’un sommeil apaisé. Un bain et un biberon plus tard, le bébé joue tranquillement dans le salon tandis que Juliette se prépare à accueillir, comme chaque matin, sa voisine Clare pour leur moment de complicité autour d’un café.

« Elle a réussi à dessiner quelque chose de joli. La nuit sans à-coup, le biberon pris sans colère, la douche qui rafraîchit, le babil satisfait, la vaisselle qui sèche, le café qui coule. » (p.45)

Lorsque l’on sonne à la porte, Juliette ne réfléchit pas et se précipite avec joie, ne prêtant pas attention au fait que d’ordinaire, Clare choisit de toquer. Seulement, ce n’est pas sa voisine, mais son bourreau, qui a retrouvé sa trace, l’a sans doute traquée et l’a retrouvée. Juliette se retrouve, en un quart de seconde, dans le rôle que pendant des années l’homme lui a attribué : une compagne docile, muette, conciliante, sous peine de représailles violentes. Pourtant, en elle, un chœur hurle : son refus, sa peur, sa colère. Que faire ? Alors que les secondes s’égrènent avec une lenteur désespérante, Juliette doit anticiper la moindre réaction de son tortionnaire et, plus encore, protéger Inès de la possible violence de l’intrus.

« c’est le regard qu’elle a tout fait pour fuir, et elle pourrait se frapper d’avoir cru qu’elle était prête, rien ne pouvait la préparer à sentir de nouveau ce regard sur elle, il n’y a pas de démence dans ces yeux, même pas de fureur vraiment, juste le désir de faire mal, juste la cruauté. » (p.67)

Dans le huis-clos étouffant de son appartement de 34m², une lutte silencieuse s’opère entre Juliette et son passé revenu en maître chez elle : et la tension, intenable, de grandir page après page, pièce après pièce. Une traque millimétrée, où la moindre faille peut s’avérer fatale. Le souffle en apnée, le lecteur dévore les mots – sans doute salvateurs – qui se bousculent dans la tête de Juliette : échappera-t-elle une nouvelle fois à cet homme qui a fait de sa vie passée un enfer, après « l’entourbillon » illusoire des débuts ? Que lui veut-il aujourd’hui ? Se venger ? La récupérer pour la domestiquer une nouvelle fois ?

« C’est intérieur, elle s’écroule, elle se désagrège, piétinée en bouts minuscules ; rien n’a changé. Il gagne toujours. » (p.110)

Louise Mey n’a pas son pareil pour parler de l’emprise et des mécanismes de la violence physique et psychologique au sein d’un couple. Avec ce court roman, elle donne voix à l’après : celui de la reconstruction, laborieuse, jamais vraiment totalement acquise, et le risque de réapparition du spectre d’un passé traumatique. La résilience, en ce domaine, s’avère chose bien compliquée. Aussi bref qu’intense, ce récit est glaçant mais nécessaire pour qui veut mieux comprendre les enjeux de la manipulation d’un pervers narcissique, figure diabolique qui hante trop souvent l’actualité en France… Echappe-t-on jamais à ces monstres autrement que par la mort ?


34m², Louise MEY, éditions du MASQUE, 2025, 141 pages, 14.90€.

4 réflexions au sujet de “« 34m² », Louise Mey : l’emprise du huis-clos”

  1. Merci pour ce très bel article, je me réjouis d’apprendre que ce roman n’est pas une reprise du thème de l’emprise, mais son après avec cette menace qui plane si longtemps, et peut-être toujours sur le quotidien de la victime.

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