A dévorer !

« Brûlent les falaises », Emmanuelle Faguer : malédiction(s) ?

En 2003, alors que le souffle brûlant de la canicule balaie même la Bretagne de ses ravages, Lara Kerivel, une adolescente de 15 ans mue par la flamme des premiers émois amoureux et des élans revendicateurs d’indépendance, disparaît mystérieusement lors de la fête de la Saint Jean, au cours de laquelle elle espérait tant faire céder le beau Sébastien à ses charmes naissants.

Quinze ans plus tard, personne n’a oublié Lara. Aussi, c’est à contre-coeur que sa sœur aînée, Elena, revient d’Espagne, où elle s’est exilée, pour fêter les 60 ans de son père, le fier et ambitieux Maxence, héritier d’une lignée désargentée d’armateurs bretons. Elena a volontairement coupé les ponts avec les siens au lendemain du drame. Aussi, les retrouvailles avec les siens sont-elles maladroites et embarrassées : son frère aîné, le taiseux Christophe, ploie sous les exigences d’un père éternellement insatisfait de son rejeton ; Servane, sa mère, se mure dans une austérité hostile. La faute au deuil inaccompli d’une enfant trop tôt disparue ?

Elle qui croyait ne faire qu’un aller-retour pour l’occasion se trompe : au lendemain de la soirée d’anniversaire, le corps sans vie de l’une des convives est retrouvé au bas des falaises. Est-ce là la malédiction qui depuis le XVIe siècle fait frissonner la petite ville de Douarnec, à savoir que Aëla, une femme sacrifiée, aurait maudit les falaises avant de mourir ? Car, malgré les mises en garde des uns et des autres, les premiers Kerivel ont orgueilleusement implanté leur somptueuse villa à la pointe des falaises et depuis des années, pas une génération sans son drame mortel.

« Elle n’aurait jamais dû aller dîner chez les Kerivel. Cette maison est maudite. Comme cette famille. » (p.159)

Alors, comment expliquer la mort de cette convive, figure locale appréciée de tous ? Accident ? Suicide ? Meurtre ?

Rebecca, fille de Douarnec qui jamais n’a éprouvé le besoin de quitter la ville de son enfance, est chargée de l’enquête. L’occasion pour elle de retrouver des figures de son passé qu’elle s’était empressée d’éloigner d’elle.

« Mais aussi loin qu’ils allaient, tout les ramenait toujours à Douarnec. A cette histoire inachevée, faite de souffrances et de rêves impossibles. » (p.207)

Au sein de la famille Kerivel, les non-dits sont nombreux et les illusions trompeuses : qu’a donc déclenché le portrait de Lara, dessiné quinze ans plus tôt par son cousin Augustin Kerivel, le paria de Douarnec, et affiché avec ostentation le soir de l’anniversaire de Maxence ?

On comprendra que le trouble et le malaise se diffusent tel un brouillard épais alors que Noël est supposé réjouir les cœurs. Mais entre les révélations glaciales du présent et les brûlures d’un passé douloureux insoupçonné pour nombre de protagonistes, l’effet de choc est redoutable. Les personnages sont-ils les victimes de légendes ancestrales et de celles qu’eux-mêmes ont créées de leur propre chef ? Quelle version de chacun considérer et croire ?

Dans un savant jeu de dupes, Emmanuelle Faguer nous conte un récit de famille doublé d’une intrigue policière redoutables. Nous-mêmes sommes impatients de comprendre (ce) qui se cache derrière les sourires de façade ou les masques de froideur. Et les révélations ne laissent pas de nous surprendre.

« Elle avait vite compris que, derrière la façade, quelque chose se cachait. La peur des drames successifs, qui semblaient les hanter. Ils vivaient tous plus intensément, plus dangereusement. » (p.309)

Tout du long du récit, la question thématique du désir se dessine : cherché, contrarié, imposé, renié… Autour de lui, des coupables et des victimes. Immuables, au-dessus de cette vaste mascarade de marionnettes de bois et de chiffon, les falaises qui musèlent les secrets.

« Les gens se trompent. Douarnec n’est pas maudit. Ce sont les gens qui le sont, à force de reproduire les mêmes erreurs. Les falaises n’engloutissent rien, elles cachent des comportements malsains. » (p.337)

Un régal littéraire, à savourer au cœur de la fournaise inédite de ce mois d’août.


Brûlent les falaises, Emmanuelle FAGUER, éditions PHEBUS, 2025, 344 pages, 22.90€.

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