A dévorer !

« Les derniers jours de l’apesanteur », Fabrice Caro : état de (dis-)grâce

Chronique des quelques mois d’un futur bachelier de dix-huit ans dans une province anonyme, à l’aube des années 90, le nouveau roman de Fabrice Caro se lit comme une délectable plongée dans un passé pas si éloigné que cela des préoccupations adolescentes actuelles, entre quête amoureuse désespérée et compte-à-rebours anxiogène pour vivre ce(s) premier(s) rite(s) de passage vers l’âge adulte.

Ainsi, Daniel est un tranquille jeune homme que l’on pourrait qualifier de passe-partout tant il cherche à ne pas se distinguer du lot, à l’inverse de son petit frère qui, en 3ème, affiche déjà ses revendications de hard-métalleux. Avec ses deux meilleurs potes, Marc et Justin, il s’agit d’enquêter sur l’anatomie féminine, à grands coups de traits esquissés sur un papier, de conquérir ou de reconquérir l’élue d’un cœur plein d’optimisme mais surtout bourré d’illusions, ou encore d’optimiser ses chances de déchirer à chaque soirée du samedi soir à laquelle il faut bien évidemment en être. Des losers magnifiques, à l’instar des beaux gosses de Riad Sattouf, à la fois pressés de franchir des étapes qui les sacreront comme « ceux qui en sont » et déjà nostalgiques d’une enfance pas si lointaine dont il s’agit de s’affranchir.

« Nos journées étaient une enfilade de moments perdus, un condensé de gâchis qu’on honorait sous prétexte qu’il allait nous ouvrir toutes les portes et nous permettrait d’avoir une bonne situation plus tard, quand nous serions chauves et fatigués. La pertinence de ce choix, à cet instant précis, ne nous sautait pas aux yeux. » (p.59)

On demande en plus cette année-là à Daniel de donner des cours de maths à une camarade de classe de son frère. La perspective de pouvoir financer son permis à coups de cinquante francs de l’heure ne fait pas hésiter le lycéen très longtemps… car il lui en faut du courage pour affronter trois fois par semaine le mutisme déconcertant de la jeune Béatrice ainsi que les étranges lubies de ses riches parents.

« C’était un beau couple, un couple de maison témoin. A tel point que Béatrice détonnait au milieu d’eux. Comme si l’ouvrier du bâtiment avait oublié ses outils dans la maison témoin. » (p.41)

On sourit et on rit de plaisir à partager les quelques mois de Daniel et de ses compagnons de galère. On se reconnaîtra, certainement, dans la riche galerie de portraits adolescents de ce lycée provincial où tous les caractères sont croqués avec malice. Et puis, peut-être plus encore, on réfléchira à tout ce que représente cette année terminale, au mitan d’un premier grand carrefour de vie : plus des enfants, mais pas encore des adultes, sans doute Daniel et ses comparses vivent-ils un moment de grâce (au beau milieu de disgrâces régulières et subies) insoupçonné. La conquête de leur avenir est sans doute à ce prix…

« Nous baignions tous dans un état de dépression larvée, naviguant entre ces eaux paradoxales que constituaient la meilleure période de notre vie en même temps que la pire. » (p.81)

Pur bonheur, talent inimitable : merci Fabrice Caro.


Les derniers jours de l’apesanteur, Fabrice CARO, éditions GALLIMARD, collection SYGNE, 2025, 217 pages, 20€.

3 réflexions au sujet de “« Les derniers jours de l’apesanteur », Fabrice Caro : état de (dis-)grâce”

  1. C’est un écrivain dont j’ai lu Broadway et Le Discours, romans que j’ai apprécié.
    J’aime son écriture et les descriptions de ses personnages, souvent hautes en couleurs !
    Direct dans la PAL pour celui-ci aussi.
    Merci pour cette analyse.

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