
Lorsque Daniel fait la connaissance de Cherry, c’est l’évidence : cette sculpturale jeune femme brune travaillant dans une agence immobilière cotée de Kensington dégage un charme auquel il n’est aucunement insensible. Sa quête de la garçonnière parfaite se double alors d’un « match » amoureux inespéré.
Pour Cherry, Daniel est tout ce dont elle aurait pu rêver : brillant, socialement plus que bien né, il est clairement pour elle le moyen d’oublier la modestie de ses origines, qu’elle renie sans aucun remords. Gare à sa propre mère, ancrée dans la populeuse et miséreuse ville de Croydon, si elle a le malheur de lui rappeler sa vie d’avant qu’elle n’a de cesse de fuir. Cherry est honnête avec elle-même (mais pas forcément avec les autres…) : seul un bon, voire un très bon mariage la « sauvera » d’une pauvreté dont elle ne veut plus. A elle de se rendre suffisamment indispensable pour que Daniel soit ferré et lui passe la bague au doigt.
« Dangereuse sensation que cette bouillonnante impatience : il fallait qu’elle se tempère. Elle ne pouvait pas se permettre de commettre une erreur maintenant, au moment où elle semblait avoir bel et bien trouvé l’homme qui possédait le potentiel de l’arracher définitivement à cette vie de labeur ingrate. » (p.149)
Cependant, c’est sans compter la mère de son petit ami, Laura. Si cette dernière envisageait d’accueillir à bras ouverts la conquête dont son fils s’était entiché avec passion, son enthousiasme se pondère au-fur-et-à-mesure de détails troublants qui la font douter de Cherry.
« Daniel était au centre de son existence depuis si longtemps et, aujourd’hui, elle était secrètement ravie à l’idée qu’il ait trouvé une personne à part, une personne avec qui elle pourrait peut-être se lier d’amitié. » (p.27)
Des incohérences étonnantes, une fâcheuse tendance à s’accaparer Daniel pour mieux l’éloigner de sa mère… autant de signes qui éveillent le sentiment d’alarme de Laura : Cherry, dont elle doute de l’intégrité morale, n’est pas une jeune femme pour son fils.
Ce qui aurait pu devenir un duo de femmes fusionnel dans le meilleur des mondes (vivre une relation mère-fille symbolique, devenir les meilleures amies du monde) vire au duel, à la confrontation aussi muette qu’acérée. Laura et Cherry se rendent coup pour coup, et la rivalité de monter en puissance.
« Elle n’était pas des leurs. N’était-elle pas assez bien pour eux ? Pas assez méritante ? Pas assez riche ? » (p.212)
Au milieu de ce jeu de massacre, Daniel est tiraillé entre l’allégeance pour cette mère dont il a toujours été très proche, et l’emprise sensuelle de sa petite-amie, rencontre inespérée dans son cheminement amoureux. Qui l’emportera ?
« Elle était sans pitié, et son désir de vengeance était palpable. Rien ne réussissait à l’adoucir ; rien ne pouvait l’arrêter. Elle semblait ne connaître aucune morale, aucune limite, avait l’esprit retors, une imagination débordante, et un cerveau qui fonctionnait à la vitesse de l’éclair. » (p.331)
Si le thème peut sembler passablement léger, le traitement narratif est lui solide et bien écrit. Le livre se dévore et on se prend à redouter le moment où le trépied incarné par les personnages et leurs émotions (amour maternel – amour sentimental – affection) faillira.
Le roman se résume en une question : jusqu’où peut-on aller par amour des siens / de l’autre ?
La petite amie, Michelle FRANCES, traduit de l’anglais par Antoine Guillemain, éditions de L’ARCHIPEL, 2017, 393 pages, 22€.
