
Étirer quelques heures d’une journée d’été d’un adolescent en un récit : jolie prouesse que réalise Robin Watine dans ce premier roman, dans lequel il est question d’amour, d’amitié, mais aussi de doutes existentiels. L’adolescence est immuable, aussi fugaces et changeants que soient ses atermoiements.
Noé file tranquillement vers le bac mais, avant d’y penser, il a tout un été pour profiter. Et ça tombe bien : la divine Léna, riche parisienne du 16ème, s’est amourachée de cet « autochtone » pour pimenter ses vacances, loin de son petit ami officiel. Bien évidemment, cette relation est clandestine : les parents de Léna s’offusqueraient que leur fille fréquente un modeste garçon, tellement éloigné de leurs prétentions.
Noé est conscient du gouffre social et culturel qui le sépare ses copains et lui de Léna et de ses amies. Que peut-elle bien lui trouver alors ? Comment expliquer la jalousie qu’elle tente d’insuffler en « jouant » avec d’autres jeunes hommes ? Libérée et affranchie (peut-être grâce à l’aisance qu’octroie l’argent), Léna se joue de ce qui l’entoure. La chose est moins aisée pour Noé, empêtré dans la peur continuelle du regard des autres. Une quête de l’estime, de l’approbation d’un tiers aussi éclectique que possible. Noé est une identité fragmentée…
« Des centaines de vies parallèles qui seront plus jamais la mienne. J’avance comme ça, chaque jour, je vais un peu plus loin sans demi-tour possible. Et s’il y a un Noé que j’aurais dû être, je l’aurai finalement jamais été. » (p.65)
Alors qu’il ne reste plus que quelques heures avant que Léna ne reparte pour Paris (après tout, il ne s’agirait pas de « rouiller » dans ce bled bien sympa mais seulement le temps d’un été),
« Et je me demande ce que ça peut bien lui faire que je rouille ou pas. Léna elle vient, elle part et ce que je fais de ma vie entre les deux, ça change rien à la sienne; » (p.37)
Noé espère vivre le plus intensément possible ce qu’il lui reste à vivre avec elle. Faire fi des paris stupides avec les copains. Mépriser l’appel à l’aide de son père pour donner un coup de main au restaurant. Ignorer les doutes sur la potentielle réelle affection que lui porte Léna. Oublier le spleen qui bien évidemment l’envahira demain… Gouffre sans fond ou volcan d’émotions : on a là tous les paradoxes de l’adolescence, narrée avec le mimétisme lexical confondant d’un héros de dix-sept ans.
« Recherche acharnée, comme cette hypervigilance qui te pousse à observer chez les autres le moindre petit signe d’affection à ton égard. Mais ouvrir les yeux, c’est courir le risque de tout voir, et à force de chercher les signes de cet amour, tu finis toujours par te confronter à toutes les raisons d’en douter. » (p.148)
On n’est pas sérieux à cet âge-là, parait-il. Alors pourquoi chercher à rationaliser absolument ce qui ne relève peut-être finalement que d’un affect nécessaire pour se chercher ? Et mieux se trouver…
« Même si, sur ça, on n’a aucun contrôle. Comme si notre fierté, c’était pas à nous qu’elle appartenait, mais à la bonne ou à la mauvaise fortune. » (p.106)
Je rouille, Robin WATINE, éditions CALMANN LEVY, 2025, 152 pages, 18.50€.
