A croquer

« L’Énigme de la chambre 622 », Joël Dicker : illusions plurielles

Un écrivain à succès, un certain Joël (n’y voyez aucun hasard bien sûr !), décide de partir au Palace de Verbier pour se changer les idées et mettre à distance sa dernière rupture amoureuse. Accusant déjà le coup de la mort de son éditeur et mentor, un certain Bernard de Fallois, changer d’air s’impose comme une nécessité : « Envie de calme et de sérénité » (p.22).

L'Enigme

Las, sa rencontre avec une Anglaise au caractère bien trempé, jeune femme jouxtant sa chambre au Palace, va remettre en question son tranquille programme : il faut dire que leurs chambres portent les mystérieux numéros 621 et 621 bis. Que s’est-il passé dans la chambre 622 ? Après quelques renseignements, l’information leur est donnée : la chambre a été le décor d’une scène de crime, celui d’un meurtre ayant eu lieu des années auparavant. Loin de se satisfaire de cette réponse, Scarlett entraîne Joël dans la quête du meurtrier, dans l’enquête d’un assassinat jamais résolu.

« Elle avait ainsi découvert que ce crime n’avait jamais été élucidé. Et dans la voiture qui nous ramenait à Verbier, elle n’eut qu’une idée en tête : me convaincre d’écrire un roman sur le sujet. » (p.46)

Leurs investigations vont mettre à jour un triangle amoureux et un quatuor de la finance au sein de l’une des banques les plus puissantes de Genève. Intérêts personnels, intrigue sentimentale, faux-semblants… Une recette narrative qui fait forcément mouche, et pourtant…

« Non, je ne suis pas amoureuse de toi. Je suis amoureuse de Lev, on est ensemble. C’est avec lui que je veux faire ma vie. » (p.355)

Ce nouveau roman de Joël Dicker, que j’attendais avec une certaine impatience, me semble se résumer à un mot : ILLUSION. Les personnages ne sont pas ceux qu’ils semblent être et l’identité des uns et des autres est régulièrement remise en question ; le narrateur lui-même brouille les pistes en procédant à la mise en abyme du roman dans le roman. Pour un peu, on croirait à une réécriture de La Vie est un songe de Calderon.

« Il songea que, depuis une année, il s’était complu lui-même dans l’imposture » (p.474)

Si les illusions sont reines, la désillusion affleure à chaque page : celle de l’ambition, celle de l’amour… Rien n’est jamais figé dans le récit, tout est régulièrement remis en question. Il faut dire que Dicker est maître dans l’art de susciter les bouleversements, aussi peu crédibles soient-ils.

« – J’ai écrit un roman, avouai-je. Je me suis laissé complètement prendre dedans. » (p.567)

Et c’est là que j’en viens à l’illusion ultime : où est passée la plume de Dicker ? Quelle pauvreté narrative que cette Énigme… Les clichés s’accumulent, le manichéisme le plus plat règne en maître, et l’hyperbole semble la figure de style usitée tout du long du roman.

« Lev commençait par des appuis faciaux, puis une longue douche, au sortir de laquelle il passait en revue chaque centimètre carré de son corps sculpté. Il arrangeait, coiffait, taillait, traquait la moindre imperfection, scrutant le moindre poil rebelle. Anastasia aimait le royaume de sa salle de bains. Elle se plongeait dans l’immense baignoire, à l’eau agréablement brûlante et remplie de mousse parfumée. Elle avait disposé des bougies tout autour d’elle et lisait longuement dans une atmosphère paisible. » (p.402)

Le narrateur pèche par son outrance. Au final, des pistes narratives a priori pertinentes mais caduques parce qu’improbables. Et, de manière complètement inopinée et gratuite, des hommages ponctuels à Bernard de Fallois.

« Ce soir-là, à Genève, je racontai Bernard à Scarlett pendant des heures. Elle ne se lassa pas de mes anecdotes, qui retracèrent les six années de bonheur d’écrivain que je vécus avec mon éditeur, et qui me parurent compter comme vingt. J’avais même l’impression de ne pas avoir connu la vie sans Bernard. Comme s’il avait toujours été présent à mes côtés. » (p.179)

Intention sans doute louable, puisque le roman travaille tout du long le thème de la filiation dans ce qu’elle a de plus complexe.

Au final, un récit un peu fourre-tout qui se lit, mais qui est loin d’égaler les précédents romans de l’auteur. Une écriture bien trop facile qui fait vaciller Dicker du socle plutôt honorable sur lequel il était jusque là établi… Dommageable désillusion…


L’Énigme de la chambre 622, Joël DICKER, éditions de Fallois, 2020, 569 pages, 23€.

Dicker

 

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