
Orane de Lavallière, quintessence de la haute-bourgeoisie versaillaise, subit l’affront d’être quittée par son mari, Xavier, le lendemain du mariage de leur dernière fille. Une lettre humiliante pour toute excuse, et les remerciements sincères d’un Don Juan pour les « bons et loyaux services assurés par la mère de ses enfants ». Et le petit monde policé d’Orane de voler en éclats…
« Mon cerveau était débranché, mon corps était cotonneux, sans réaction. Je ne pleurais pas, j’étais anesthésiée, sidérée. » (p.79)
Si la presque sexagénaire se doutait bien des incartades répétées de son mari, jamais elle n’aurait pensé qu’il la quitte pour une autre. Plus jeune, plus séduisante. Forcément différente et indubitablement plus appétissante.
Orane se réfugie dans leur maison secondaire en Normandie, villa de famille où elle peut se consumer à loisir dans le spleen qui l’envahit. De cela elle n’est en rien blâmable : comment pourrait-il en être autrement ? Mais tromper la douleur par une frénésie d’activités est un leurre qui ne dure qu’un temps, et Orane de sombrer dans la dépression. C’est avec l’aide de l’enjouée Nathalie, son amie de toujours, celle de ses enfants et l’intervention d’une psychologue qu’Orane parvient à reprendre pied. Mais lorsqu’on lui souffle de part et d’autre pour la blague que pour vivre de nouveau il faudrait se débarrasser de l’ignoble Xavier, Orane se fige intérieurement : et si elle devait son salut au trépas de celui qui a d’une lettre sans remords et sans scrupule enterré leur vie de couple ?
J’ai ainsi réalisé que non seulement j’avais trouvé un crime parfait, mais qu’en plus de cela j’étais insoupçonnable. Tous me donneraient le Bon Dieu sans confession… » (p.163)
Et notre héroïne de fomenter le crime parfait, que nul se saura déjouer. Son atout : passer « pour une conne », naïve et nunuche, à laquelle on ne saurait attribuer un quelconque méfait tant l’idée semblerait fantaisiste. Après tout, Xavier ne l’a-t-il pas toujours un peu prise comme telle ? Alors quitte à rester dans son rôle pour la « bonne » cause, Orane jouera le jeu jusqu’à ourdir le crime parfait pour se venger de cet homme qui l’a bafouée sans pitié aucune.
Ce qui m’effraie, c’est que je n’ai aucun sentiment de culpabilité : c’est toi, Xavier, qui as fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Tu es le seul responsable de ce qui t’arrive et je ne cesse de repenser à mon parcours depuis que tu m’as quittée l’an dernier, en juin. » (p.31)
Mais être prise pour une conne est un art, une savante performance digne d’un rôle de composition : rien ne doit être laissé au hasard et Orane de déployer des stratégies d’une efficacité redoutable pour ne surtout pas être prise. Cultiver la dualité pour mieux être libérée, peut-être ; jouer plusieurs coups d’avance, toujours…
« il faut beaucoup de patience, d’abnégation et d’intelligence pour passer pour une conne. » (p.104)
Guillaume Clicquot propose avec ce récit un réjouissant thriller domestique qui n’épargne pas les grands de ce monde en égratignant le vernis social de leurs us et coutumes. Le propos se fait (trop ?) didactique lorsqu’il s’agit pour Orane de comprendre les tenants et les aboutissants des risques judiciaires encourus : après tout, quitte à jouer la conne, autant pécher par excès d’ignardise, non ? De même, alors que le personnage principal a tout de l’héroïne bourgeois catho coincée, on regrettera quelques passages lors desquels le phrasé qui lui est attribué est relâché, entachant la crédibilité psychologique du personnage. Il n’en reste pas moins que ce roman est savoureux à lire et célèbre, à sa façon, un certain féminisme vengeur bienvenu et assumé, nourri de références culturelles riches !
Prenez-moi pour une conne, Guillaume CLICQUOT, éditions FAYARD, 2023, 322 pages, 20.90€.

C’est jubilatoire, la façon dont Orane se conduit. Un livre parfait pour l’été. En revanche j’ai été un peu frustrée de ne pas en savoir plus sur Françoise, la psychologue.
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Joli commentaire 🙂 Et c’est assez juste : on en sait finalement peu sur Françoise et le fait qu’elle continue à pratiquer alors qu’elle est supposée être à la retraite…
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La revanche parfois nécessaire pour revivre, peut-être ? Ce roman doit être passionnant pour l’été, à lire à l’ombre !
Bel été de lecture à toi 😎⛱
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Passionnant, c’est le mot ! Très très bel été 🙂 Bien chaleureusement. L.
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