
Alors qu’Allie est en plein spleen amoureux, après quatre passés avec Alexandre le caractériel, lui revient régulièrement à la mémoire une chaste idylle de son adolescence avec Nour. A l’époque, alors que 850 km les sépare, Nour et Allie ont longuement échangé via MSN, puis par téléphone, sur leur quotidien, leurs passions communes, leur solitude partagée. Il est de ces relations, parfois fulgurantes, qui marquent une vie : Nour a été de celles-là pour Allie, au point de teinter l’amitié en amour dans des courriers non envoyés.
« On s’est écrit chaque jour pendant plus d’un an. Je parlais de lui à mes amis, je griffonnais son nom dans la marge de mes feuilles de cours. C’était une relation ni vraiment amicale ni vraiment amoureuse. Un matelas de tendresse. » (p.30)
Douze ans plus tard, en pleine indolence de l’été bruxellois, grande est la tentation pour Allie de se replonger dans cette relation qui avait tout du pansement lors de son adolescence, et qui semble s’annoncer de nouveau comme telle aujourd’hui.
« A chaque fois que je m’égare dans mes souvenirs, j’ai ce goût d’inachevé. J’aimerais savoir ce qu’il devient, la musique qu’il écoute, les livres qu’il lit, qui il aime, ce dont il rêve. Lui expliquer le rôle qu’il a joué pour moi, tout ce qu’il m’a apporté. […] Voire, peut-être, reprendre notre amitié là où on l’avait laissée. » (p.35)
Mais aussi faut-il pouvoir mettre la main sur un garçon montpelliérain qui s’avère introuvable sur les réseaux sociaux. Douze ans dans une vie, c’est à la fois ridiculement court et en même temps scandaleusement long : il peut s’en passer des choses qui expliqueraient la disparition de Nour.
« Mais il existe une autre part de moi, plus importante encore, terrorisée à l’idée de confronter ses souvenirs à la réalité. Ce que j’aime chez lui, ce n’est pas ce qu’il fut, mais ce qu’il a représenté. Pourquoi prendre le risque de gâcher un idéal en le confrontant à la réalité alors que ça pourrait rester un souvenir immaculé ? » (p.113)
En quête de l’Autre ou peut-être d’un autre, et surtout quête de soi, Allie se lance dans ses investigations. Une toile de fond narrative entrecoupée d’aperçus de vie d’une hipster des temps modernes, résolument tendance mais aussi insidieusement fragmentée : les éclats, tant heureux que malheureux, dont elle est capable dans sa riche vie sociale cachent des failles affectives à vif. Consciente de ce portait quelque peu désabusé qu’elle offre, Allie compense avec des saillies d’un humour ravageur. Et on en redemande, de cette plume douce-amère, qui régale autant qu’elle ne pique ses victimes, la première étant Allie elle-même (après tout, « charité bien ordonnée… »).
Qui Allie retrouvera-t-elle au bout de son enquête ? L’apaisement de ses béances ? Le fameux Nour ? Autre chose ? Quelqu’un d’autre ? Ce petit bout de chemin littéraire en terre initiatique ne sera pas vain. Encore moins pour le lecteur, largement contenté de la générosité des bons mots et autres savoureuses considérations de la protagoniste.
« C’est une histoire décevante [lecteurs de cette chronique, permettez-moi d’affirmer le contraire : c’est une histoire passionnante !]. Une histoire de la vraie vie, sans panache, dans laquelle il n’y a même pas de méchant. Seulement des protagonistes dont les désirs s’entrechoquent. » (p.261)
Bien sûr que les poissons ont froid, Fanny RUWET, éditions de L’ICONOCLASTE, 2023, 267 pages, 19€.
