A croquer

« Le diplôme », Amaury Barthet : laissez-passer de papier

Le diplôme fait-il la personne ? Peut-on se définir principalement à travers une feuille cartonnée format A4 estampillé du sceau d’une prestigieuse école ou d’une honorable université, que l’on accrochera fièrement dans un bureau ou, au pire, que l’on rangera soigneusement dans une chemise vouée à prendre la poussière ? Qui se gargarise à quarante ans passés de ses études, sinon les « têtes » de l’intelligentsia politico-économique française ? Pourquoi vouloir à tout prix prouver sa « valeur » en dégainant son titre honorifique plus vite que son ombre ? Masque, mascarade ou arme ?

Ces questions, redoutables, sont posées à travers le premier roman d’Amaury Barthet. Son protagoniste, Guillaume, enseigne dans un lycée l’histoire-géographie. Ayant perdu foi en sa vocation en même temps que ses élèves ont perdu année après année tout intérêt pour les références culturelles essentielles à maîtriser, Guillaume se morfond dans sa pratique. La rencontre improbable dans une salle de sport de Nadia, une sculpturale jeune femme à la tête aussi bien faite que son corps, est le point de départ de l’intrigue : Nadia enquille des heures de vente payées au lance-pierre chez Zara. Convaincue que ses origines sociales, modestes, la cantonneront à jamais à survivre plutôt que vivre, Nadia s’est fait une raison à ce morne destin qui l’attend.

« Pour elle, l’histoire était déjà écrite, elle enchaînerait des jobs abrutissants pendant 172 trimestres pour finalement toucher une retraite équivalente au Smic de la Roumanie. Mes collègues syndiqués y voyaient certainement un capitalisme inhumain, mon frère une inévitable sélection naturelle, et moi-même, je ne savais plus très bien ce qu’il fallait en penser. » (p.36)

Mais Guillaume a vite cerné la complexité de la jeune femme : certes la vie n’a pas favorisé son épanouissement social, mais parce qu’elle a la tête bien pleine, elle peut prétendre à mieux et rompre les liens du déterminisme social. Mais une réserve, essentielle, demeure : comment prétendre à mieux si l’on n’a pas les diplômes nécessaires ? Laissez-passer vital pour qui veut gravir les échelons de la société, le diplôme est LA condition qui manque à Nadia. Et pour Guillaume, il est injuste de priver des individus fondamentalement brillants d’études remarquables parce que le destin les a fait naître pauvres.

« Il ne s’agit pas de tricher, mais simplement de corriger la mauvaise décision que tu as prise dans ta jeunesse, de renouer avec la vie meilleure qui aurait dû être la tienne. » (p.46)

Guillaume a la solution, le coup de poker à tenter. Parce que si l’on ne joue pas, aucun risque de gagner, c’est chose sûre. Mais si l’audace s’avérait perdante ? De fait, Guillaume propose à Nadia de lui obtenir un faux diplôme, modifié à partir de celui obtenu à HEC par son frère. Chose facile à faire, mais aussi faut-il ensuite « entrer dans son rôle » et maitriser les fondamentaux de tout poste prestigieux auquel prétendre. Nadia se prend vite au jeu et ce qui ne devait être qu’un prétexte à vivre mieux devient, pour elle, une raison de vivre. Le maître du jeu, Guillaume, est dépassé par la tournure des événements. Mais n’en est pas moins satisfait : leur train de vie flirte vite avec l’opulence.

Cependant, l’usurpation peut-elle restée ignorée tout du long ? A pactiser avec l’illégalité, le risque n’est-il pas d’être confondu et la chute d’en être encore plus dure ? Lorsque l’on échafaude son avenir sur un mensonge, enfoui par la suite sous des couches épaisses de bonne volonté et de sincérité, à quel moment le « petit pois » devient-il trop gênant car trop remarquable ?

« La gravité et l’irréversibilité de mes actes devenaient à chaque minute plus évidentes, plus cruelles. » (p.205)

Roman social teinté de politique, qui dénonce un système entièrement fondé sur une France à deux vitesses, scindée entre la caste des dirigeants nés pour l’être et la masse plébéienne, Le diplôme interroge la valeur que l’on donne au mérite d’une personne, dépourvu de toutes considérations matérielles et estudiantines. Constat amer que les parcours atypiques restent rares et que le plafond de verre demeure lui d’une très (trop) franche épaisseur.


Le diplôme, Amaury BARTHET, éditions ALBIN MICHEL, 2023, 223 pages, 19.90€.

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