A croquer

« Les insolents », Ann Scott : ultramoderne solitude

Ah, notre société… Connectée, voire ultra-connectée. Ère du swipe, du scroll et du zap. Quête effrénée de l’Autre, fuite éperdue de la béance que laissent parfois quelques « vides » dans notre vie.

« Quand on se sent seule au milieu des autres, autant l’être pour de bon. Le tout est de ne pas l’être avec soi-même, et ça, elle a l’habitude. » (p.39)

En mettant au centre de son récit plusieurs Parisiens pur jus, Ann Scott tend à peindre une toile de fond riche des fils que ses quelques happy-few du monde de la culture (un galeriste, une attachée de presse, une compositrice de bandes originales de films) ont tissé au fil de leur vie mondaine, électrisante et, à bien des égards, exaltante. Mais, la quarantaine ou la cinquantaine passée, que reste-t-il des aspirations du présent lorsque la société vous renvoie en miroir votre solitude et votre errance : toutes ces années à courir après la reconnaissance, l’argent ou l’Elu(e) ont-elles abouti à quelque chose de tangible ? de satisfaisant ?

« Paris où ce décalage entre ce que j’étais et ce qui m’entourait me donnait le sentiment de ne pas avoir ma place dans le même monde que les autres sur le trottoir. » (p.12)

Crise existentielle au mitan de sa vie ? Pas impossible… Ce qui est sûr, c’est qu’avec « Les insolents », ces personnages bravaches qui ont parfois dans leur vie défié la moralité et les normes bien-pensantes, Ann Scott questionne le sens que l’on veut donner à notre vie. Et offrir la possibilité de repartir… ailleurs, autrement, différemment.

Ainsi, le personnage principal, Alex, quitte ses proches amis pour s’isoler dans un trou paumé du Finistère. L’acclimatation y est rude, tant pour le contraste avec la frénésie parisienne que pour la mise à l’épreuve matérielle d’une vie nouvelle en totale autarcie. Et pourtant, elle trouve dans ce dépouillement social un assouvissement qu’elle peine à nommer : un retour aux fondamentaux sans doute depuis longtemps oublié, mais qui la reconnecte avec elle-même. Se figer, dans l’instant, par la grâce, finalement bienvenue, de la solitude.

« Bientôt, vivre dans l’instant et se trouver là où on a envie avec qui on a envie sera tout ce qui restera. » (p.167)

« Elle n’est pas très sûre de comprendre pourquoi elle se met à attacher de l’importance à ça, mais c’était ce qu’elle voulait pour ici, se dépouiller du plus possible et aimer infiniment le peu qu’elle aura. » (p.75)

Et sans doute le roman d’Ann Scott est-il une invitation à se confronter, que l’on soit effectivement seul ou non, à soi-même : quelles perspectives la solitude nous offre-t-elle quand on y est confronté ? Chance pour se re-créer, se ré-inventer ou calamité qui fait douter ?   

Les insolents est une invitation à se concentrer sur ce qui est essentiel à nos vies et à faire le deuil de l’accessoire. Intéressante réflexion lorsque le récit évoque la mise à l’épreuve du COVID en 2020, devenue alors une injonction à l’enfermement, au renfermement. Quelle est la place de l’Autre dans la zone limitrophe de notre solitude à tous ?

« l’unique défi qu’on a, quand on est seul, c’est celui qu’on se donne à soi-même, n’est-ce pas ? La reconnaissance d’Autrui devient secondaire. » (p.138)

Texte riche et profond, à l’enjeu quasi-métaphysique, Les insolents brille par la qualité de sa réflexion narrative.

« Les zones d’ombre et de lumière entre lesquelles on oscille toute la vie. » (p.103-104)

Les insolents, Ann SCOTT, éditions CALMANN LEVY, 2023, 194 pages, 18€.

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