A dévorer !

« Une maman parfaite », Marie-Fleur Albecker : « femme, tu enfanteras dans la douleur »

Anne n’avait jusque-là pas de désir réel d’enfant, jusqu’à rencontrer Matthias. Avec lui, l’évidence : le bébé, ce sera avec lui. Matthias rechigne un peu au début : le confort d’une vie à deux, les voyages, les sorties… Anne pense-t-elle seulement à ce que sera leur vie après, tout bonnement… différente à jamais ?

Non, Anne a le désir d’enfant chevillé au corps. Pourtant, pour devenir mère, il ne suffit pas de vouloir. Aussi faut-il le pouvoir. Or, le couple galère et n’a d’autre choix que de s’orienter vers la PMA. Un parcours du combattant qu’elle mène tambour battant, enchaînant les rendez-vous, les examens, pas toujours agréables. Les joies, les fausses joies et surtout les déceptions.

« Je pensais que ça viendrait sans problème, que ce serait simple. Je ne pensais même pas que j’étais si vieille que ça. » (p.14)

Son amie Louise, qui elle a presque fait un bébé toute seule, est une alliée de qualité pour la seconder, mais elle se drape aussi dans son rôle de mère courage, qui a su trouver dans la maternité le sens d’une vie dans laquelle jusque-là elle tâtonnait.

Deux chemins différents vers la maternité, et des différends qui doucement mais sûrement tendent la relation entre les deux amies.

Il faut aussi dire qu’Anne est un bulldozer : elle ne recule devant aucun sacrifice pour enfin pouponner. Matthias se sent mis de côté, simple « instrument » au service d’un désir immense d’enfant. Ce projet n’est-il que celui d’une femme se désespérant de devenir enfin comme presque toutes les autres femmes, mère enfin ?

« C’était comme ce saut, s’embarquer vers une terre inexplorée, décider d’aimer pour toute la vie, d’aimer une personne inconnue, de la créer même. C’était intimidant au possible, c’était à la fois chose si naturelle et si incroyable. » (p.18)

Lorsque Anne tombe enceinte, le couple savoure sa victoire contre mère Nature, si despotique dans ses choix. La grossesse se déroule sans difficulté. Mais la douleur de l’accouchement rappelle à Anne le prix de son choix : dans la souffrance elle enfantera.

Cette douleur de la maternité n’est pas que physique puisque, lorsque l’enfant paraît, Anne ne ressent pas cet élan d’amour qu’elle espérait. Allaiter est une torture, la fatigue la brise. Et surtout, comment apprivoiser ce petit être qu’elle a tant désiré et pour lequel elle ne ressent, pour l’instant, que crainte et méfiance ? Anne s’enfonce dans un spleen auquel elle ne s’attendait pas, à l’opposé du bonheur dont irradiait son amie Louise.

« je suis devenue un ectoplasme au service d’un nourrisson qui, lui, occupe toute l’attention. » (p.136)

Ses proches ont beau lui dire que le post-partum est une étape hélas traditionnelle de l’enfantement, Anne dépérit. Lorsqu’elle se retrouve seule avec le bébé le temps de son congé parental, son quotidien se transforme en enfer : dépossédée de son corps, de sa vie, de son identité de femme, elle ne parvient pas à toucher du doigt le bonheur qu’elle espérait, qu’on lui promettait. Et pourtant, on ne cesse de lui répéter qu’elle a tout pour être heureuse. Tout ! Mais devenir mère n’est pas inné, et plus dure est la chute pour Anne.

« Mais comment en parler ? C’est tellement tabou, c’est… contre nature. Je suis contre nature. J’ai voulu cet enfant, mais je ne l’assume pas. » (p.208)

Et le constat d’advenir : la mère parfaite, vantée par les réseaux et la mythologie féminine, n’existe pas, ne peut décemment exister. Toute mère ne peut qu’être imparfaite, non ? Anne en vient à regretter le temps d’avant, celui sans enfant. Tout ce parcours du combattant pour quoi au final ? Trembler devant un nouveau-né, enchaîner les gestes mécaniques dépourvus d’un réel sens à donner.

« Pourquoi je m’étais foutue dans la merde comme ça, et toute seule en plus ? » (p.155)

Marie-Fleur Albecker signe un récit extraordinaire sur le lent processus de la maternité : entre le désir et l’avènement, tant d’atermoiements. Tout se passe comme s’il n’y avait de maternité que singulière : rien ne peut être normé dans ce processus si personnel. Or, la société, normative à l’envi, enferme dans des carcans, juge, stigmatise : la mère forcément doit savoir. Et bien l’évidence n’a rien d’inné, rien du tout. Etre parent s’apprend, être maman s’apprend, et tant pis si rien n’est vraiment intuitif. Car, bien caché derrière cette charge mentale qui dès l’enfant paraît, demeure l’amour pour lui, bien présent même si pas évident à appréhender. Et tant que l’amour est là, tout ira…

« Mon corps n’est plus à moi, mon esprit n’est plus à moi, je suis responsable de tout, c’est moi qui porte le bonheur et l’avenir de toute la famille. » (p.198)

Un roman complet, chemin d’apprentissage de la maternité, dans une langue déliée. Un enfantement littéraire de belle qualité, que l’on ne peut qu’aimer !


Une maman parfaite, Marie-Fleur ALBECKER, éditions AUX FORGES DE VULCAIN, 2024, 269 pages, 20€.

2 réflexions au sujet de “« Une maman parfaite », Marie-Fleur Albecker : « femme, tu enfanteras dans la douleur »”

  1. J’ai lu ce roman il n’y a pas longtemps et je suis totalement d’accord avec toi : il est complet ! On y croise des visions et des comportements très variés qui mettent bien en avant le fait que non, la maternité n’est pas la même pour tout le monde. 🙂

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