A dévorer !

« Deux », Penny Hancock : l’ombre et la lumière

Mona a dû quitter son cher Maroc et y laisser sa fille de 6 ans, Leila, et sa mère, pour l’Angleterre, afin d’essayer d’y retrouver son époux, Ali. Ce dernier, qui achevait ses études de médecine, a quitté l’Afrique de Nord au nom de son engagement politique et dans l’idée d’espérer une vie meilleure à Londres. Il a quitté sa femme et sa fille, leur promettant de les retrouver, bientôt.

Seulement, Mona est restée sans nouvelles de lui. L’inquiétude, le manque et l’avenir incertain l’ont contrainte à accepter le rôle d’aide-soignante ou femme à tout faire auprès de Charles, un ancien chef restaurateur devenu grabataire et que sa fille Theodora – dite Dora – a décidé de prendre chez elle afin de lui assurer une fin de vie décente.

Si Londres est un éventuel eldorado pour nombre d’immigrés, Mona déchante vite : Dora, qui a vite perçu que son employée est devenue l’ange salvateur de son père et un levier pour sortir son fils Léo de son inertie insolente, se sent menacée dans sa crédibilité de fille et de mère. Pire, lorsque son amant, Max, s’amuser à fantasmer sur Mona, Dora voit rouge : il lui faut remettre cette vile employée à sa place et cesser séance tenante toute tentative de familiarité ou d’intimité. Comment Mona a-t-elle osé prendre un bain dans SA salle de bain ? Comment ose-t-elle demander un jour de repos alors que personne ne l’attend ici à Londres ? Dora n’aura alors de cesse de rendre le quotidien de Mona plus dur : des tâches ménagères à n’en plus finir, l’injonction à dormir à terre près de son père pour « mieux le surveiller et agir, au cas où ».

De l’extérieur, le vernis étincelant de Dora brille de mille feux : n’est-elle pas « la voix du Sud-Est », émission radiophonique à succès qui lui confère une certaine popularité ? N’est-elle pas l’ex-femme d’un diplomate ? Alors qu’une employée de maison puisse prétendre à plus qu’elle n’a déjà, cela ne saurait être.

Bien évidemment, elle ne se doute pas de la réelle motivation de Mona. Cette dernière endure sans piper mot les humiliations et la charge de travail chaque jour plus conséquente. Pour Ali, qu’elle doit à tout prix retrouver dans la jungle tentaculaire de Londres. Pour sa mère, qui a besoin de soins médicaux et à qui elle envoie tout son argent. Mona s’offre en sacrifice tandis que Dora, despotique, use et abuse de son autorité.

« Pourtant, nous n’avons pas le choix si nous voulons nous en sortir. » (p.21) « Il y a toujours un moyen d’obtenir ce que tu veux si tu essaies vraiment. Concentre-toi. Voilà ce que tu dois faire. » (p.36)

Jusqu’à la soirée de trop, celle au cours de laquelle le destin de chacune va basculer. Jusque-là séparées par une inimitié grandissante, les deux femmes peuvent-elles devenir des alliées ?

« Je ne suis pas libre de peser le pour et le contre moral tant que je suis liée à elle. » (p.431)

Jusqu’où peut-on aller pour obtenir ce que l’on veut ? Quelles sont les limites à notre volonté et nos désirs ?

Au-delà du thriller domestique bien sympathique à lire, avec une alternance des voix narratives d’un chapitre à l’autre entre Dora et Mona, Penny Hancock offre un récit engagé sur la condition des immigrés qui quittent leur pays pour espérer une ville meilleure ailleurs. Or, « possession » contemporaine de leurs maîtres, ils sont pieds et poings liés à leurs employeurs. Muselés et entièrement dépendants, puisque leur passeport et leurs papiers sont entre les mains des dominants. Ainsi, Penny Hancock dénonce cet esclavage moderne, souvent invisible, qui règne dans nombre de demeures cossues. La lutte des classes et la course aux privilèges est loin d’être abolie… et le compte des victimes pas prêt d’être fini.


Deux, Penny HANCOCK, traduit de l’anglais par Marianne Thirioux, éditions LE LIVRE DE POCHE, 2015, 507 pages, 8.30€.

1 réflexion au sujet de “« Deux », Penny Hancock : l’ombre et la lumière”

Laisser un commentaire