A dévorer !

« La vie n’est pas un roman de Susan Cooper », Stéphane Carlier : écrire, entre fiction et réalité

Susan Cooper, Dame des Lettres d’origine britannique mais ayant établi son fief à Paris, est une écrivaine de renom. Depuis presque quarante ans, elle publie avec succès des romans policiers, traduits dans le monde entier. A raison de deux publications par an, Susan Cooper se contraint à une vie ascétique, entourée de sa mère, grabataire, et de Bruno, son fidèle assistant. Une rigueur de travail de 1000 mots par jour, une mise au travail dès le matin. Seuls les salons littéraires et autres raouts du microcosme de l’édition la distraient de son quotidien besogneux, et c’est alors l’occasion pour elle de briller, avec aisance, sur les gammes d’une partition qu’elle connaît finalement par cœur.

Alors qu’elle s’apprête à partir au Salon du Livre de Monaco, Susan reçoit un appel à l’aide sur son compte Instagram : une certaine Nora la supplie de l’aider car elle vient de tuer un homme qui tentait d’abuser d’elle. Dame Cooper doit y regarder à deux fois pour bien saisir la portée du message : est-ce une plaisanterie ? Pourquoi la solliciter elle, créatrice de fictions à succès ? Certes, chacun de ses romans s’appuie sur un rigoureux travail d’enquête sur le terrain, auprès de policiers aguerris dont elle a acquis la confiance. Mais son œuvre relève de la fabulation, aussi intelligemment troussée soit-elle.

« Et si c’était une farce ? […] Franchement, il faudrait avoir l’esprit tordu. Et du temps à perdre. Quel intérêt y aurait-il à monter un coup pareil ? » (p.24)

Il n’empêche que la curiosité de Susan est piquée : forte des astuces romanesques que ses récits lui ont fournies et mue par une certaine pitié envers Nora, l’écrivaine lui suggère des pistes pour se débarrasser du corps. Après tout, tant que l’échange entre les deux femmes reste « virtuel », rien à craindre… jusqu’au moment où Susan se retrouve face à Nora, à Monaco. Et son petit monde bien policé de se renverser : la réalité rattrape la fiction, et la frontière entre l’illusion fantasmée et le réel devient dangereusement poreuse.

« Car écrire, c’est tout de même donner une certaine réalité à ce que l’on raconte. Entre les mots et l’absence de mots, il existe bien une différence, non ? » (p.211)

Susan Cooper, jusque-là habituée à manipuler ses personnages de papier à sa guise, peut-elle à son tour devenir une marionnette au cœur d’une intrigue dont elle ne peut maîtriser les fils ?

« Je suis quelqu’un de connu, je n’ai pas envie qu’on parle de moi pour ça… Si vous tombez, je tombe, c’est aussi simple. » (p.181)
« Toute cette histoire repose sur un malentendu, elle n’aurait jamais dû y être impliquée… » (p.251)

Délicat et formidable récit dans lequel Stéphane Carlier s’amuse à démultiplier les strates de la fiction dans une mise en abyme quasi-vertigineuse, La vie n’est pas un roman de Susan Cooper joue avec les codes du genre policier tout en épinglant le monde littéraire dans ce qu’il présente de vrai et de factice. C’est dire la dualité qui structure tout le récit de ce brillant auteur français que j’affectionne depuis son premier roman Clara lit Proust : mise en garde au lecteur, qui doit veiller à guetter le pendant (possiblement inverse) de toute proposition faite par le narrateur. On se régale de cette construction / déconstruction romanesque menée de main de maître !

« mais c’est pas comme ça que ça marche, la vie et les romans, ça fonctionne pas pareil, la vie, c’est pas un roman de Susan Cooper » (p.38)

La vie n’est pas un roman de Susan Cooper, Stéphane CARLIER, éditions du CHERCHE-MIDI, 2024, 295 pages, 20€.

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