Helen McCab est dans une mauvaise passe : divorcée de son mari Dwight, elle a perdu la garde de son fils Oliver après la bouteille de trop un soir de désespoir. Privée de son unique raison de vivre, sans soutien familial (sa mère ne s’est jamais occupée d’elle, préférant la picole et les hommes), elle survit de petits boulots guère gratifiants. Et, régulièrement, elle doit pointer aux Alcooliques Anonymes.
Mais un jour, son chemin croise celui d’Ava Havilland. D’emblée, Ava témoigne envers Helen d’une immense générosité de chaque instant : elle lui donne les vêtements qu’elle ne porte plus, tous taillés dans de riches étoffes ; les invitations à dîner s’enchaînent, tantôt dans des restaurants de choix, tantôt dans la luxueuse propriété des Havilland ; les cadeaux se multiplient… Ava commande même à Helen un ouvrage photographique, Helen ayant de fortes prédispositions pour l’art de la photo.
« Ou bien une timbale, un bel album relié cuir, voire du miel fabriqué par des abeilles qui ne fréquentaient que des champs de lavande. Et bien d’autres petits cadeaux : un pull-over d’une couleur que je ne portais jamais et qui soudain se révélait convenir parfaitement à mon teint ; un livre que j’adorerais, elle en était sûre un vase contenant un bouquet de pois de senteur. Je ne m’étais même pas rendu compte que la semelle de mes baskets était usée, mais Ava si, et connaissant ma pointure elle m’en avait acheté des neuves (d’une meilleure marque que celle que je choisissais en général. » (p.15)
Helen a l’impression de vivre un rêve éveillé auprès d’Ava et de son mari Swift : leur quotidien semble d’une telle facilité. Bien sûr, elle leur concède leur caractère fantasque : Ava et Swift affichent sans modestie la perfection de leur couple et leur libido dévorante, même à plus de soixante ans. De même, le couple ne jure que par les chiens, accordant à la race canine un amour absolu et inconditionnel : aussi œuvrent-ils à l’inauguration de leur propre refuge animalier, « La Niche ». La philanthropie du couple semble sans limite… Pourquoi s’entichent-ils autant d’Helen ?
« – Le monde est plein de requins, a opiné Swift. Je crois que tu nous a rencontrés au bon moment. » (p.99)
Helen a l’impression de trouver une nouvelle famille auprès d’Ava et Swift et elle tergiverse bien peu avant de laisser de côté sa vieille amie de galère, Alice.
« Dans ces terribles moments de solitude, il y avait les Havilland. Je disais parfois qu’Ava et Swift étaient ma famille. Or ils n’étaient pas comme ma famille – la vraie -, en aucune façon, et c’est bien pourquoi je les aimais. A l’exception des brèves années passées avec Ollie et les parents de Dwight, qui me tenaient alors pour l’une des leurs, ma vie avait été celle d’un chien errant ou d’une orpheline, ce que j’étais plus ou moins redevenue depuis que j’avais perdu mon fils. » (p.93)
Néanmoins, alors qu’ils se régalent des fiascos amoureux narrés avec une exagération volontaire par Helen, Ava et Swift laissent paraître une certaine réserve lorsqu’elle leur présente officiellement Elliot, simple et modeste comptable sans fantaisie. Décontenancée, Helen hésite : faut-il vraiment choisir entre l’avis mitigé de ses précieux amis et la perspective d’un salvateur bonheur amoureux ?
« Auparavant, je lui racontais tout ce qui m’arrivait dans les moindres détails, à présent j’éprouvais le besoin de protéger d’une certaine manière cette nouvelle relation. » (p.140)
Le choix est encore plus difficile lorsque Oliver, lors de vacances chez sa mère, se prend d’une affection sans borne pour Swift.
Pourtant, Elliot incarne la sécurité, le sérieux et la confiance. Ne fait-il par les efforts nécessaires pour plaire à Ollie ? Ne jure-t-il pas à Helen un amour absolu et inconditionnel ? Pourtant, lorsqu’il commence à se renseigner sur la fortune illimitée de Swift, Helen devine la fragilité possible de ses relations.
« Je redoutais le jugement d’Ava et de Swift. J’avais peur de me sentir embarrassée devant mes amis. Ou, pire, qu’Elliot se sente lui-même mortifié. » (p.156)
Face à un tel dilemme, qui Helen suivra-t-elle ?
Ce roman de l’américaine Joyce Maynard se dévore d’une traite. D’emblée, on devine l’ironie du titre : De si bons amis le sont-ils vraiment lorsque l’on perçoit les indices d’une manipulation grandissante, menée de main de maître à grand renfort de billets verts ?
« Soudain, l’évidence s’est imposée : il n’y avait pas une seule composante de ma vie actuelle qui ne provienne directement des Havilland. Mes amis, mon gagne-pain, jusqu’à mes vêtements. Ava et Swift répondaient de tout, à l’exception du garçon à qui j’avais donné naissance et de l’homme avec qui je couchais – et encore. D’une certaine manière, ils avaient revendiqué Elliot, en me faisant remarquer ses faiblesses, si bien que je finissais par ne plus voir ses points forts. » (p.238)
Dénonciation critique des nantis de ce monde qui payent pour se racheter ou pour imposer le silence sur leurs méfaits, le roman questionne aussi l’amitié et l’amour : peut-on vivre une relation totalement désintéressée ? Quelles sont les limites du don de soi ?
De si bons amis est également un roman social dans la plus pure tradition, par la mise en scène d’un microcosme dans lequel se frôlent (sans vraiment se mélanger ?) riches Américains, cadres moyens et laissés-pour-compte de la société…
Enfin, l’auteur questionne le mensonge et la vérité : alors qu’Helen, Ava et Swift se livrent comme jamais, Helen sent la nécessité à un moment donné de taire ses véritables pensées ; quant au couple, ne cachent-ils pas quelque chose sous le vernis étincelant de leur réussite ?
« Je voudrais que tu choisisses, toi. Au lieu d’accourir chaque fois qu’Ava lève le petit doigt, et d’exécuter tout ce qu’elle demande afin qu’ils continuent à donner le surprenant spectacle des Havilland. La mise en scène permanente de leur merveilleux couple. » (p.243)
Plus que jamais, Joyce Maynard est une formidable conteuse de la conquête, de l’appétit de réussir, qu’importe les moyens. Un tel roman n’est pas sans rappeler son roman Prête à tout (2015 éd. Philippe Rey). Sauf qu’ici, il faudrait le renommer en : PrêtS à tout ?
De si bons amis, Joyce MAYNARD, traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Adelstain, éditions Philippe Rey, 2019 pour la traduction française, 328 pages, 22 €.
Le genre de roman que je peux apprécier ! Les portraits des Américains, d’en bas ou d’en haut, toujours édifiants… 🙂
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J’adore ce genre de romans ! As-tu toi-même des titres à me conseiller dans cette veine-là ?
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Voici une liste…
– Le bûcher des vanités de Tom Wolfe
– Home de Toni Morrison
-Je vous emmène de Joyce Carol Oates
-Mon Amérique de Jim Fergus
-Les privilèges de Jonathan Dee
-La maison des Turner d’Angela Flournoy
-La neige tombait sur les cèdres de David Guterson
-Mary Ann en automne d’Armistead Maupin
-Babycakes (Chroniques de SF, etc…) du même auteur.
-Nous ne sommes pas nous-mêmes de Matthew Thomas.
Bons choix !!! 🙂
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Check car déjà lu pour Tom Wolfe, Matthew Thomas. Je retiens notamment en priorité Jonathan Dee. Merci beaucoup !!!!
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Un autre, que je suis en train de lire : Une éducation de Tara Westover (une jeune fille mormone s’enfuit pour commencer une autre vie…) Bonnes lectures !
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