A dévorer !

« Un matin d’hiver », Philippe Vilain : heureuses retrouvailles avec le délicat gentleman du sentiment amoureux

Julie et Dan, tous deux professeurs à l’université – en sociologie pour lui, en littérature pour elle -, tombent amoureux l’un de l’autre. Julie, follement éprise de cet Américain d’Atlanta venu vivre et travailler à Paris, tente d’accepter le tempérament indépendant de Dan. De fait, Dan est régulièrement amené à s’absenter pour honorer de sa présence différents colloques ou pour poursuivre ses recherches en enquêtant sur le terrain.

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Julie apprend à faire avec cet homme au détachement certain vis-à-vis des normes traditionnelles. Néanmoins, sans lui, le quotidien semble si fade et insipide…

« Les journées sans le voir me paraissaient longues. J’aurais voulu être connectée sur lui et je me retenais de me manifester. » (p.30)

« Dans ces moments, mon attente redevenait infinie et la tristesse me saisissait à l’idée des jours qu’il me faudrait passer sans lui. » (p.31)

La naissance de la petite Mary crée une famille et dans la foulée ses parents se marient. N’est-ce pas là la concrétisation de tout désir de couple ? Et pendant trois ans, la vie de la petite famille va son cours, paisiblement.

Mais, un matin d’hiver, alors que Julie accompagne Dan à l’aéroport pour un nouveau voyage à Atlanta, elle ne parvient pas à lire sur les lèvres de son mari les quelques mots qu’il semble vouloir lui dire au-delà des portes d’embarquement vitrées. Sans doute est-ce un dernier « Je t’aime » avant de décoller ou « Fais attention à toi et à la petite »…

Pourtant, plus jamais Julie ne reverra Dan : ce dernier disparaît purement et simplement, sans laisser aucune trace.

« Dan n’a plus donné de nouvelles. Il n’avait pas rejoint ses parents comme il avait prévu de le faire. […] Personne ne l’avait vu. Il était injoignable, son portable sonnait occupé. » (p.66)

Les avis de recherche et le déplacement de Julie à Houston et Atlanta n’y changeront rien : sa quête s’annonce vouée à l’échec. Pourtant, l’espoir demeure : comment croire à cette évanescence d’un mari et père de famille aimant, sans problème apparent, socialement bien établi ? Quel mécanisme psychique a pu l’amener à prendre la décision d’abandonner sa femme et sa fille alors qu’aucun signe ne laissait prédire un tel acte ? Disparition ou abandon ?


Un matin d’hiver est avant tout une histoire d’amour, dans la même veine que celles que Philippe Vilain excelle à raconter. Avec finesse, il suggère dès le début le décalage en filigrane au sein même du couple : topos littéraire propre au sieur Vilain, que l’on retrouve dans ses romans Pas son genre et La fille à la voiture rouge, pour ne citer qu’eux. Ici, entre Julie et Dan, c’est le décalage dans la force expressive de l’amour qui semble être le point névralgique de l’évolution de leur couple. Ainsi, alors que l’on sent Julie littéralement « ferrée » par Dan, on perçoit une certaine distance, un certain détachement de Dan dans ses relations, homme insaisissable tout en étant saisissant de charisme.

« Je ne savais pas ce que faisait Dan lors de ses voyages, qui il rencontrait, avec qui il travaillait, Dan demeurait secret sur ses recherches. » (p.46)

A travers le thème de l’abandon volontaire, de la disparition, Philippe Vilain questionne la rupture et le deuil dans toute sa complexité : alors que l’être absent n’est plus physiquement présent, peut-on considérer la relation comme morte ? Durant tout le récit, Philippe Vilain donne voix à cet équilibre instable de celle qui reste : sa vie en suspens sur le fil du retour possible ou du non-retour. De fait, peut-elle s’autoriser à revivre sa vie lorsque l’espoir n’est plus ? Peut-on aimer à nouveau sans que cela soit considérer comme une forme d’adultère ? « Et s’il revenait »… : toute une vie au conditionnel pour l’être abandonné, rongé de culpabilité sans pouvoir trouver de réponse.

« En même temps que je me sentais fautive, je prenais conscience de tout ce que Dan représentait pour moi, de l’amour que j’avais pour lui mais que je n’avais pas toujours su lui témoigner. » (p.74)

Il me semble que ce roman souligne, avec une pudeur touchante, la souffrance du manque, de l’ignorance et de cette vie en suspens, marquée par une incertitude de chaque instant, dans laquelle l’absence rend encore plus vive les vestiges d’une présence chérie.

« Je passais sans cesse d’un sentiment à un autre, de l’espoir au découragement, du renoncement au désir de persévérer » (p.96)

« Les années suivantes sont des années fragiles, suspendues entre l’inquiétude et la peur, la vie et la mort, l’espoir et la déception. » (p.108)

De nouveau, Philippe Vilain signe un très beau roman et confirme sa maîtrise de l’analyse du sentiment amoureux. Un grand monsieur des lettres…


Un matin d’hiver, Philippe VILAIN, éditions Grasset, 2019, 141 pages, 15€.

Un immense merci aux éditions Grasset pour l’envoi gracieux de ce très beau roman.

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