A goûter

« Les petites robes noires », Madeleine St John : un charme suranné à laisser sur de jolis cintres capitonnés

On le voit partout, ce roman de Madeleine St John acclamé outre-Atlantique et tout nouvellement édité en France. Pourtant, le charme n’a pas opéré avec moi. Au final, j’ai refermé le livre en me disant : « Mais il se passe quoi, au fait, dans ce roman ? » Hélas, pas grand chose, sinon l’évocation d’un tournant décisif dans la vie des quatre protagonistes féminins, sans plus de développement qu’une simple suggestion d’avenir…

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Avant de me juger trop critique, sachez que j’accorde au roman le plaisir d’une langue surannée qui plonge d’office le lecteur dans les années 50, bien que le récit ait été écrit dans les années 90. L’effet de réel est absolu et le talent de Madeleine St John pour restituer cette période évident.

Seulement, je considère que l’écrivaine, à travers les portraits de femmes qu’elle propose, ne donne que des esquisses. De fait, Patty, Fay et Magda travaillent à Sydney, dans le grand magasin F.G. Goode’s, l’équivalent de nos Galeries Lafayette. Elles sont bientôt rejointes par la jeune Lisa, qui attend avec impatience les résultats de ses examens pour enfin savoir si elle va pouvoir exaucer son rêve d’aller à l’université. De ces quatre personnages féminins, nous ne savons pas grand chose : Fay cherche désespérément le grand amour et enchaîne, désabusée, les soirées ; Patty, quant à elle, entretient des relations cordiales avec son mari, relations que le désir d’enfant ne semble pas réchauffées ; Magda, de son côté, est l’emblématique gardienne des robes haute couture. Expatriée  hongroise avec son mari Stefan, elle cultive un art de vivre hédoniste et entreprend de prendre sous son aile Lisa.

Il apparaîtrait que Madeleine St John ait donné, à travers son roman, une vision du statut de la femme en Australie dans les années 50, questionnant son désir d’éducation, d’émancipation, de liberté. Il est vrai, je le reconnais, que Fay, Magda, Patty et Lisa proposent toutes une vision de ce désir de vivre pleinement leur vie de femme, et tant pis si elle confère parfois au conformisme. Et ce que je retiens du récit, c’est que les quatre collègues vivent un passage décisif de leur vie : Fay va-t-elle enfin rencontrer l’amour ? Lisa va-t-elle avoir son examen et pouvoir entrer à l’université ? Le désir d’enfant de Patty va-t-il se réaliser ? Plusieurs femmes, chacune à un stade clé de leur vie et de leur « historique » de femme : jeune fille, jeune femme peut-être future fiancée, femme possiblement future maman… Une jolie linéarité féminine lorsque tous ces portraits s’assemblent…

Mais, de mon point de vue, le roman n’est qu’un embryon de réflexion, qu’une « tranche de vies » de quelques mois affairés autour de ce Noël 1959 à Sydney.

« Goode’s serait, disons-le tout net, un véritable champ de bataille ; des récompenses seraient décernées et assurément méritées ; des trophées exposés ; et s’il n’y aurait pas de pertes humaines, des blessures de toutes sortes seraient sans nul doute à déplorer ; les soldes avaient commencé. » (p.183-184)

Ce tournant décisif de leur vie de femme est à peine esquissé. Peut-être un choix volontaire de l’auteur ? Frustrant pour le lecteur, qui peine à trouver la matière dont il a besoin. Tellement dommage, alors qu’il y a pleinement matière à développer ces portraits de femmes qui auraient pu être si beaux…

On retiendra quelques passages descriptifs intéressants sur le fonctionnement du grand magasin et la mode, qui n’est pas sans rappeler le mastodonte zolien Au Bonheur des Dames. Mais là encore, une évocation – hélas – fugace.

« Il lui était apparu ces derniers temps que le vêtement était peut-être davantage qu’une simple protection plus ou moins à la mode : qu’il avait peut-être d’autres significations. […] Car ces robes que Magda nommait en les offrant brièvement à son regard semblaient chacune être enveloppées d’une aura magique d’indépendance ou même d’une sorte de fierté ; son intelligence vive malgré toute son ignorance voyait en chacune d’elles – c’en était stupéfiant – un poème. » (p.80-81)

Les Petites robes noires est pour moi une déception : malgré des enjeux narratifs clés, guère de prise sur des personnages eux-mêmes au charme suranné et aux contours narratifs guère développés.


Les Petites robes noires, Madeleine ST JOHN, traduit de l’anglais (Australie) par Sabine Porte, éditions Albin Michel, 2019, 258 pages, 19€.

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