
A défaut d’un rallye entre gens bien nés, c’est à l’occasion d’un mariage huppé de la grande bourgeoisie catholique que la sage et virginale Sixtine rencontre son futur mari, Pierre-Louis Sue de la Garde. Une rapide et chaste cour plus tard, la voici confrontée au rôle de sa vie : future mère de famille tout entière dévolue au bonheur de son foyer en devenir. Une certaine perception archaïque de la femme, enfermée dans le rôle de la bonne épouse destinée à enfanter, encore et toujours, l’acte sexuel ne visant que la fécondation, et en aucun cas le plaisir…
« Sixtine sourit, acquiesce, ravie. C’est cela sa place ! A quoi bon chercher une orientation ? Ces trois années d’histoire de l’art passionnantes, mais perpétuellement menacées d’une épée de Damoclès – et demain, que faire ? – ont trouvé leur épilogue. Leur juste dénouement. Demain ? Elle sera Mme Pierre-Louis Sue de la Garde. Ils auront cinq enfants, ou six, si Dieu le veut. Une nouvelle maison lui ouvrira ses portes, elle lui appartiendra. Madame en sera maîtresse. Une grosse demeure bourgeoise dans un faubourg de Nantes. Pierre-Louis a déjà signé un compromis de vente. » (p.15)
De fait, Sixtine comprend très rapidement qu’elle doit se soumettre au bon vouloir de son mari, seul garant de l’autorité domestique en terme d’avenir, et, plus largement, se soumettre aux aspirations codifiées de sa mère Muriel et sa belle-mère, l’autoritaire Madeleine. Il faut dire que tout ce petit monde voue en culte sans aucune mesure au catholicisme le plus absolu, que d’aucuns qualifieraient d’intégriste : culte de l’entre-soi catholique, rejet de la mouvance Jean-Paul II, haine des autres religions, l’homosexualité considérée comme hérétique, lutte contre le mariage pour tous… Des groupuscules extrémistes, dont Pierre-Louis fait partie, embrigadent leurs proches lors de soirées dédiées à l’apologie de la suprématie de la fille de l’Église (= la France), pour laquelle il faut se transformer en croisé afin de lutter contre les dérives qui mettent en péril son honneur. Parfois même, ce que ces groupes nomment la Milice organisent des actions musclées auprès de représentants de la gauche, qualifiés de décadents et, « forcément », incarnations sataniques immorales conduisant la France à son péril…
Lorsque Sixtine tombe enceinte, après quelques assauts distanciés et dépourvus de toute sensualité de son époux, c’est pour elle un supplice. Allons plus loin : c’est un chemin de croix. Tout apaisement médicamenteux lui est interdit : au nom de la religion, elle doit souffrir. Au final, Sixtine est rapidement dépossédée de sa maternité, jusqu’à lui imposer le prénom du futur enfant, l’allaitement, le rythme à suivre avant d’accourir pour calmer les pleurs du nourrisson…
« Sixtine se retrouve seule dans la grande maison bourgeoise qui est la sienne. Il y a cinq chambres vides. Combien de vomis dans le caniveau devra-t-elle faire pour parvenir à les remplir ? L’abattement l’emporte. » (p.44)
La jeune femme perçoit en elle un NON sourd, diffus, mais sa voix est étouffée, tant par les prières qu’elle s’impose que par le cercle étroit dans lequel elle évolue.
« Elle finit par dire que c’est ainsi, c’est la volonté de Dieu, elle s’y soumet. » (p.47)
Lorsqu’il est donné à Sixtine de s’émanciper de ce carcan rigoriste aux multiples entraves, elle peine à faire fi du manichéisme initial qui jusque là dictait sa conduite et sa morale. Cependant, elle parvient peu à peu à discerner d’autres visions de la religion, des pratiques différentes qu’elle aurait jugées laxistes de prime abord, mais au final incarnations de la tolérance, du respect et de la bienveillance, valeurs clés de toute religion finalement. Alors vient pour Sixtine l’apaisement…
« je me suis échappée d’un monde où j’étais malheureuse » (p.268)
L’ironie du sort, c’est que Sixtine parvient à renouer avec l’Histoire familiale, que sa propre mère avait par le passé reniée. Au final, ce premier roman de Maylis Adhémar propose un cycle familial, malmené selon l’acceptation ou le reniement des valeurs que l’on souhaite transmettre. Le parcours de Sixtine, à bien des égards initiatique, est celui d’un personnage féminin fort qui, par le recul qu’elle prend, lui permet d’avancer plus sereinement vers le chemin de l’indépendance affective, religieuse et spirituelle.
Bénie soit Sixtine est un récit très fort, à la puissance littéraire proportionnelle à la critique qui est faite des cultes fondamentalistes de la religion (catholique certes, mais cela vaut bien évidemment pour toute religion dès lors qu’elle est vécue avec une dimension extrémiste). Dénonciation d’un microcosme fermé, intolérant et violent, le récit offre aussi un magnifique portrait de femme qui ose affronter son destin pour se libérer du carcan dans lequel on l’a enfermée.
Sublime. Un roman touché par la grâce.
Bénie soit Sixtine, Maylis ADHÉMAR, éditions Julliard, 2020, 296 pages, 19€.
Merci pour cette présentation qui donne envie !😉
J’aimeAimé par 1 personne
Je te souhaite de le découvrir ! 😉🤗
J’aimeJ’aime
Il me tente énormément 😄
J’aimeJ’aime