Brune et ses deux enfants – Hilde, huit ans, et Garnier, quatre ans – gagnent en ce dernier chaud weekend de juin le domaine des Bordes, en province, pour rejoindre son mari et assister au traditionnel pique-nique auquel assistera toute sa belle-famille.

Si les enfants se réjouissent à l’idée de revoir leurs cousins, il n’en va pas de même pour Brune, qui sait que là-bas, elle ne recevra pas une once d’intérêt. Sa belle-famille ne l’aime pas, elle, la juge d’instruction handicapée par une déficience visuelle. Alors, elle le sait, elle sera reléguée à ce rôle unique qui est le sien depuis qu’elle a enfanté, et qui parfois lui pèse : être mère, s’occuper de ses chers petits, et ignorer le regard haineux de ses beaux-parents.
Que s’est-il passé pour que les relations en soient arrivées à un tel point d’inimitié et d’animosité ?
Ses chers petits, la chair de sa chair, elle les aime. Plus que tout. Elle se sacrifierait pour eux. Pourtant, depuis qu’ils sont nés, parfois elle regrette de ne plus être que cela : une mère. Qui répond aux tyranniques « Maman » scandés à longueur de journée. Pourtant, depuis qu’ils sont nés, elle a peur pour eux, peur de tout ce qui pourrait leur arriver. Et cette angoisse l’étreint, elle qui, dans son métier, voit les immondices que la vie crée parfois…
« Des cas passés devant elle, elle retenait une leçon qui ne faisait aucun doute pour elle : on ne peut pas protéger ses enfants. » (p.59)
Ainsi, chaque chapitre égrène, heure par heure, les pensées, souvent troubles, de Brune. On perçoit, à plusieurs reprises, les points de rupture d’une femme qui a envie de hurler mais que les circonstances de vie musèlent. La maternité, pôle thématique essentiel, est envisagé dans ce qu’elle a de plus absolu mais aussi de plus aliénant.
« Il semblait acquis auprès de tout le monde qu’elle était désormais une mère. Elle devait être disponible, connectée à son enfant. » (p.31)
Les Bordes est une tragédie en sourdine, au cœur d’une temporalité qui s’étire et se répète à l’infini. La prose puissante d’Aurélie Jeannin donne corps à l’indicible vérité des pensées de la mutique Brune.
« Elle ne savait plus quelle femme elle était, quelle mère, quelle épouse. » (p.180)
Les Bordes, Aurélie JEANNIN, éditions HARPER COLLINS, collection Traversée, 2021, 218 pages, 17€.