A dévorer !

« Campus », Curtis Sittenfeld : prépa, l’enfer doré américain

Ault est l’une de ces écoles américaines prestigieuses qui prépare aux plus grandes universités du pays, telles Brown, Harvard ou Yale. Forme de prépa version lycée privé, l’école accueille, non loin de Boston, l’élite sociale et intellectuelle de la jeunesse américaine du coin. A 22 000 dollars l’année, il est évident que l’accès au Saint Graal est limité.

Pourtant, la jeune Lee Fiora parvient à entrer à Ault, malgré ses origines modestes de la province américaine de l’Indiana. Les salaires de sa mère, secrétaire dans une compagnie d’assurances, et de son père, vendeur de matelas, ne pouvant subvenir aux frais de l’école, Lee a pu compter sur une bourse. De fait, même si cela est tacite, cela la relègue dans le groupe des minorités de l’école : les boursiers, les Noirs, les Asiatiques, les Latinos… La diversité n’est pas forcément de mise à Ault, et l’entre-soi est savamment cultivé, même si jamais la question de l’argent n’est mise sur la table. Tout est plutôt dans les détails : le choix de la décoration de la chambre du dortoir, les prédilections sportives en fonction du matériel à engager, l’hôtel de luxe où les parents séjournent quand ils viennent rendre visite à leur rejeton, les vacances dans les riches maisons familiales…

Même si Lee a tout mis en œuvre pour faire de son rêve de pensionnat une réalité, le constat, une fois sur place, est amer : elle peine à se faire des amis, ne parvenant jamais à faire l’effort d’outrepasser sa timidité ou les réserves qu’elle s’impose, refusant par exemple de se joindre aux soirées du samedi soir. Scolairement parlant, elle ne brille dans une aucune matière, et ne se distingue en rien. En d’autres termes, Lee se définit par sa solitude et, à bien des égards, sa bizarrerie.

« je songeai que ma venue à Ault avait été une erreur colossale. Jamais je n’aurais d’amis ; de la part de mes camarades je ne pourrais espérer, au mieux, que de la pitié. J’avais déjà perçu que j’étais différente d’eux, mais je m’étais figuré pouvoir me faire toute petite pendant un temps, comprendre comment ils fonctionnaient, puis me réinventer à leur image. A présent, j’étais démasquée. » (p.12)

Les seuls moments où elle parvient à exister ne sont guère flatteurs pour elle : elle tombe dans les pommes dans un magasin lors d’une sortie en extérieur ; elle devient la coupeuse de cheveux officielle des élèves, ne recevant pas toujours un merci ; elle crée le scandale en participant, avec toute son honnêteté, à un article quelque peu accusateur du New York Times sur le système des classes préparatoires américaines.

Les quatre années de Lee sur le campus d’Ault ont donc une valeur de passage initiatique, véritable mise à l’épreuve pour notre héroïne du grand écart entre ses origines sociales et le cénacle duquel elle tente de se rapprocher, sans grand succès. Ainsi, tout du long, c’est le sentiment d’inadéquation qui hante Lee : pas à l’aise avec ses camarades, elle mettra du temps à se lier à une véritable amie ; déconnectée de la réalité parfois triviale et grossière de ses parents, les quelques séjours dans sa ville natale se transforment en épreuve douloureuse.

« en fait je passais mon temps à observer les autres, à m’interroger sur eux, je restais éblouie par leur légèreté d’être, et effondrée par le gouffre vertigineux qui nous séparait, mon épouvantable manque d’aisance, mon incapacité à être naturelle. » (p.189)

Au final, Campus est le récit d’une jeune fille qui se cherche, fragile et, à bien des égards, inadaptée.

« Le seul fait d’être moi me disqualifiait. » (p.285)

On a, à bien des reprises, l’envie de la secouer pour forcer un peu le destin, souvent clément en sa faveur. Mais Lee se complaît dans le recul, l’observation. Sans doute la fuite vers un ailleurs meilleur est-elle pour plus tard…

« Moi, je vivais ma vie comme à sa périphérie. Je ne faisais pas ce que je voulais, je ne disais pas ce que je pensais, et cette façon de m’étouffer et de me réprimer à longueur de temps m’épuisait ; ce que je faisais ne comptait jamais, j’imaginais toujours autre chose. » (p.50)

Roman social et récit initiatique (aux rites maladroitement accomplis voire ratés), ce premier roman de Curtis Sittenfeld paru en 2005 brille par la qualité du développement de ce microcosme représentatif de tout un système national. Le romanesque se fait discret derrière l’enquête de terrain. Cruel. Passionnant. Édifiant.


Campus, Curtis SITTENFELD, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Valérie Dayre, éditions des PRESSES DE LA CITE, 2005, 473 pages, 22€.

3 réflexions au sujet de “« Campus », Curtis Sittenfeld : prépa, l’enfer doré américain”

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