
Carine H. nourrit, depuis son adolescence, un culte sans nom pour notre emblème musical national : Jean-Jacques Goldman. Seulement, le bon goût familial et amical de sa microsphère bobo parisienne lui a fait comprendre que cette addiction phonique n’était pas la plus pertinente et que se nourrir de Bowie, de Gainsbourg ou des Rita Mitsouko était nettement plus souhaitable. Alors certes, Carine a essayé et a aimé. Mais c’est Goldman, cet « homme en or », qui fait vibrer son cœur.
« Jean-Jacques Goldman fut ma crise d’ado à moi. Et j’étais ce qu’on appelle une fan. » (p.16)
Carine essaie pourtant, pendant plusieurs années, de se défaire de sa passion. Elle relègue dans un carton cassettes, CD et posters. Elle pense être sauvée : la « rédemption musicale » aurait bel et bien eu lieu.
« Notre amour – je le réalisai brusquement – était impossible, et continuer d’y croire menaçait d’être une source perpétuelle de souffrance. […] Net, d’un coup, clac, terminé, chansons, disques, concerts, albums… Rideau ! Je ne l’écouterais plus, je n’achèterais plus ses albums, je n’irais plus le voir sur scène, je ne le chanterais plus. Et c’était non négociable, Jean-Jacques allait sortir de ma vie et de moi de la sienne. » (p.21)
Mais, lorsqu’elle quitte Paris pour Marseille avec son compagnon et sa petite-fille, son lien inextinguible avec JJG refait surface : il paraîtrait que le chanteur habite la cité phocéenne. C’est là pour Carine une perspective qui annule d’un coup les années d’abstinence et lui donne l’envie de voir d’un autre œil cette seconde ville de France à laquelle elle a bien du mal à s’acclimater. Alors, elle va mettre sur pied tout un stratagème pour retrouver la trace de Goldman : elle active son réseau, elle qui travaille dans le cinéma documentaire. Cependant, les tentatives se révèlent une à une infructueuses. Loin de baisser les bras, plus motivée que jamais à l’idée de rencontrer son « Dieu », Carine décide d’échafauder un documentaire sur JJG qui serait le prétexte à une interview. Bricolage, déconvenues et retournements de situation : la quadra ne ménage pas sa peine, et l’humour met à distance cette quête désespérée mais néanmoins assumée.
« Et je suis plus décidée que jamais. […] J’irai au bout de mes rêves. » (p.37)
« Toute cette quête d’un idéal ne se suffit-elle pas à elle-même ? » (p.200)
Car, au final, au-delà du propos amusé sur ces fans qui cherchent à rencontrer leur idole, le récit de Carine Hazan questionne deux éléments.
En premier lieu, le prétendu bon goût culturel : Carine est montrée du doigt pour sa prédilection pour un artiste sacré populaire. Or, ce qui est populaire est-il forcément à considérer de façon péjorative ? Le goût du peuple vaut-il moins que celui des happy few de l’élite culturelle ? Ne doit-on pas reconnaitre à Goldman un talent certain et incontestable de compositeur-interprète dont le mérite est de rester dans l’ombre et la discrétion ? L’écrivaine invite le lecteur à assumer ses goûts, quels qu’ils soient : qui est l’autre pour juger de la pertinence de ses affinités ? Désolée d’en revenir à cet adage usité mais « des goûts et des couleurs, on ne dispute pas ».
En second lieu, le roman interroge le lien très fort qui unit un artiste à son public. Un lien qui relève de l’amour, à des degrés différents, l’ultime étant celui de l’idolâtrie. Ainsi, Carine Hazan légitime, de son mieux, ce qui motive une personne lambda à accorder de son temps, de son âme, de son cœur, à un artiste. Sans doute, à bien des égards, cela peut paraître irrationnel, mais qu’est-ce qui incite un individu à se donner corps et âme pour un chanteur, un acteur ou un peintre ?
« Comment font les gens ? Comment font ceux qui n’ont pas leur jean-jacques ? » (p.114)
A quel moment l’admiration laisse-t-elle place à l’addiction ? C’est donc toute une réflexion sur le rapport entre l’artiste et son public que propose, de façon intelligente et savamment distanciée, l’écrivaine.
« A chacun son jean-jacques. Chacun porte en lui une des mille facettes diamantées de l’artiste qui lui ressemble. Je suis née avec un jean-jacques en strass gravé en creux quelque part dans le cœur et j’attends, depuis toutes ces années, de retrouver l’empreinte en relief qui, imbriquée dans ma béance, m’ouvrira les portes de la complétude. » (p.175)
Chercher l’Autre permettrait-il se trouver soi ? C’est peut-être là aussi la conclusion à laquelle arrive le roman, quête initiatique en recherche d’étoile(s).
Je vous vois venir : vous êtes en cet instant à réfléchir vous-même à l’artiste que vous adulez, à vous questionner sur les limites de votre passion. Un seul mot alors, que je retiens de ma lecture de Jean-Jacques : n’ayez pas peur et assumez, tout simplement. Le plus sûr moyen de légitimer même les goûts les plus douteux (mais qui est-on pour les juger, d’ailleurs…) !
Jean-Jacques, Carine HAZAN, éditions HARPER COLLINS, 2021, 237 pages, 17€.
Un très grand merci aux éditions Harper Collins pour l’envoi gracieux de ce roman !