
A quarante ans, Sandra n’a jamais ressenti le besoin d’enfant. Un non-souhait, ou plutôt le désir de ne pas devenir mère, elle qui a vu sa sienne mourir de chagrin lorsque Abel, le frère de Sandra, est mort accidentellement alors qu’il était enfant. Alors, elle mène sa vie de célibataire comme elle l’entend, entre coups d’un soir et flirts réguliers.
« Mais la terreur qui m’avait étreinte à la perception de la folie maternelle ne me quitta plus. Alors quelle mère pourrais-je être ? » (p.214)
Romain, son meilleur ami, désespère quant à lui d’avoir l’enfant dont il rêve avec son compagnon Marc. Les démarches de GPA avec une mère porteuse aux USA tombent à l’eau l’une après l’autre. Alors, le ventre de sa meilleure amie semble être la solution ultime, mais la solution idéale.
Sandra espérait que jamais il ne lui demanderait un tel « service », elle qui refuse l’idée-même d’être mère. Mais, confrontée à ce qui apparaît comme la dernière chance, Sandra cède : elle aura un enfant, mais ne sera pas mère pour autant.
« Qu’est-ce qui fait une mère ? Celle qui donne, celle qui porte, celle qui accouche ? » (p.37)
Le couple met en place un contrat avec Sandra, afin que tout soit réglo. Si au début la jeune femme reste farouchement sur ses réserves, abhorrant même jusqu’à la nausée les courriers de la CAF la nommant future « maman », la vie qui grandit en elle a peu à peu raison de sa position farouche. Ses convictions les plus intimes flanchent, vacillent alors que son corps se transforme peu à peu. Un attachement inattendu pour elle s’instaure peu à peu avec le petit être, et des pensées honteuses l’assaillent progressivement : et si elle gardait ce bébé pour elle ?
« Quelque chose s’est mis en branle, et j’ai beau ne pas en être la dépositaire, seulement un viatique, je n’en suis pas moins partie prenante. Et peut-être un jour me faudra-t-il rendre des comptes. » (p.126)
Charlotte Pons questionne dans ce récit le désir et le non-désir d’enfant, que ce soit pour un couple homosexuel ou une femme seule. Les problématiques contemporaines de GPA et de mères porteuses sont traitées avec intelligence, sans parti-pris moral. L’éthique, si cruciale dans ces débats, est mise à rude et preuve, bringuebalée, molestée, mais elle se soumet à l’humanité et la sensibilité de ces êtres prêts à tout pour le bonheur d’avoir un enfant. On sera sensible, que l’on soit parents ou non, que l’on soit ouverts ou pas à ces questions de parentalité autres qu’hétérosexuelle, à ce besoin inhérent à tout humain de projeter son amour dans une descendance à créer. Les doutes de Sandra sont le parfait contrepoint moral et intellectuel de ce qui relève parfois d’une course effrénée au bébé.
« Il est question de désir – celle d’un couple – et d’amour – en donner, en recevoir. » (p.199)
La possession nouvelle du corps devient dépossession de principes soudainement devenus obsolètes. Faire naître, et renaître femme. Et le cœur de prendre le relais du corps. Nouveaux accords rendant mutiques les discordances initiales…
Faire corps, Charlotte PONS, éditions FLAMMARION, 2022, 235 pages, 19€.