A dévorer !

« L’intrus », Bénédicte des Mazery : maternité insoupçonnée

Élise l’a toujours clamé : jamais elle n’aura d’enfant. Un choix de vie que son mari, Romain, a accepté, par amour pour elle. Et tant pis s’il doit faire cet autre deuil, celui de l’enfant qui ne sera pas, en plus de celui de son beau-père Paul, le père d’Élise récemment décédé. Après tout, sans doute ne seront-ils pas le premier couple ni le dernier à se contenter de vivre à deux, en auto-suffisance amoureuse dirons-nous… Élise a décrété, mue par une conviction absolue, que la maternité n’est pas pour elle, définitivement pas pour elle.

« Je n’ai pas envie de me reproduire, de fabriquer un autre être vivant, fragile, assujetti aux aléas d’une famille et de la vie, de ce monde. Je ne veux pas de ça. Jamais ! » (p.21)

Mais lorsque la jeune femme de trente-cinq ans découvre que son retard aboutit à un test de grossesse positif, elle tombe des nues et se ravise très vite : au pire, elle avortera, tout simplement. C’est ce même projet qui est avorté : Élise a fait un déni de grossesse et elle porte en elle un bébé de sept mois de quarante centimètres déjà. Son corps l’a donc trahie ! Tout en muscles, le ventre plat et le corps tonique d’entraînements réguliers en vue d’un marathon, rien ne pouvait laisser imaginer une telle tromperie. L’évidence, nouvelle, inattendue, est bel et bien là. Littéralement au pied du mur face à ses convictions profondes, il semble n’y avoir aucune échappatoire possible : Élise sera mère.

« Romain sursaute. Père. A ce seul mot, le poids sur sa poitrine s’allège, il respire mieux, se sent parcouru par une vague d’enthousiasme et d’espoir. […] Son rêve, écarté par amour pour Élise, se concrétise : sa paternité est là, soudain à portée de main, tel un miracle. Cet enfant, dont l’existence inespérée est devenue inévitable, ressemble à un cadeau du ciel. (p.46)

Pour l’aider à assimiler la nouvelle et à se préparer en accéléré à ce nouveau rôle de composition forcé, le couple peut compter sur Mina, la mère d’Élise, enchantée de ce nouveau rôle de grand-mère à venir et ravie de se détourner de son chagrin de veuve le temps de préparer le trousseau de l’enfant à naître. Romain, lui, a une idée plus saugrenue : celle de confronter Élise à sa peur en espérant lui provoquer LE déclic qui la confortera en sa capacité à être mère. Comment ? en lui mettant dans les bras un bébé reborn, ces poupons factices en silicone qui imitent à s’y méprendre les nourrissons réels. Et « Thibaud », ainsi baptisé, de faire son entrée dans la famille à venir.

Au début, Élise n’est que méfiance et indifférence : elle a passé l’âge de jouer à la poupée ! Mais l’apprivoisement se fait progressivement jusqu’à flirter avec un attachement inavoué. Y a-t-il encore de la place pour le bébé à naître ?

« Comment cette créature inanimée peut-elle lui manquer, alors que son enfant, vivant, est là ? » (p.213)

Car le récit offre une gamme complexe de duos et de duels : Mina et Élise, mère-fille complices et fusionnelles mais aussi chien et chat quand il faut l’être, le conflit n’étant jamais bien loin entre les femmes ; le faux bébé présent et le vrai nourrisson futur ; Élise et Romain, couple jusque-là soudé sur le point de vaciller tant cette naissance inattendue ébranle un équilibre qu’ils croyaient acquis ; Élise face à elle-même : une femme épanouie qui ne cherche pas à se doubler du rôle de mère ; Mina face à elle-même aussi : mère intrusive et grand-mère possessive et exclusive en devenir.

Qui est l’intrus dans cette cellule familiale ? le bébé reborn, petit imposteur bien utile mais difficile à déloger ? ce bébé bien réel non désiré impossible à déloger ? cette mère et belle-mère ingérable à déloger ?

Contre toute attente, c’est le leurre, le factice, le mensonge, qui laisse entrevoir la vérité, lui accorde la place nécessaire pour avancer.

On ne saura que souligner la grande richesse thématique de ce brillant récit de Bénédicte des Mazery. La maternité pour commencer, qui est questionnée dans ce choix qu’une femme peut faire de vouloir enfanter ou non. Faire fi des injonctions de la société, du qu’en dira-t-on toxique qui paralyse plutôt qu’il ne libère. L’écrivaine nous offre le parcours touchant d’une mère en devenir, qui chemine avec difficulté, prête à déserter à tout instant. Rien d’inné ; à l’inverse, une construction trébuchante, les doutes, les atermoiements et la charge mentale insoupçonnée qui s’abat très vite sur ces mères nouvelles que rien ne prépare vraiment, sinon le temps, la patience et la confiance.

« Le corps des femmes, à tout jamais réceptacle. Un corps qui permet la vie mais au creux duquel la vie déforme tout. » (p.164)

A travers les personnages de Romain, de Mina et d’Élise, c’est aussi la question de la transmission qui est posée : que lègue-t-on à sa descendance ? De même, de quoi hérite-on ? Quel poids l’enfance a-t-elle dans la construction d’un individu ? Les non-dits du passé peuvent-ils être dépassés lorsque le présent les révèle ? Entre conscientisation et inconscience, devenir parents s’apprend, s’invente aussi parfois, et c’est cette révélation qui elle doit être instinctive. Aucun parent n’est parfait, L’intrus le rappelle une nouvelle fois. Mais la volonté de bien faire est d’office la rédemption salutaire en laquelle croire. Le véritable intrus, c’est le doute, paralysant, contre-performant. Suivre l’instinct, se faire confiance, parfois faire preuve de résilience. Et alors sur le chemin de la parentalité avancer, plus sereinement…

Coup de cœur bien réel !


L’intrus, Bénédicte des MAZERY, éditions PLON, 2023, 285 pages, 21€.

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