A dévorer !

« Lovesong », Jane Sanderson : parce que le disque de la vie n’est jamais totalement rayé…

Sheffield, 1978. Alison Connor et Daniel Lauwrence se rencontrent alors qu’ils n’ont que seize ans et sont encore au lycée. Profondément épris l’un de l’autre, ils partagent une admiration réciproque et un goût sans modération pour la musique, raison de vivre de Daniel.

Les deux adolescents se retrouvent très régulièrement chez les parents de Dan, des gens chaleureux auprès de qui Alison trouve une famille digne de ce nom, aimante et bienveillante. Une perception bien éloignée de sa famille à elle, totalement dysfonctionnelle : sa mère, Catherine, ne s’est jamais occupée de son frère Peter et d’elle, préférant écumer les bars du coin à la recherche de types pour lui offrir un verre et une dernière partie de soirée allongée. Alison essaie de cacher à Daniel le quartier misérable dans lequel elle vit et jamais il ne saura le taudis qui est le sien. Heureusement, Alison peut compter sur Peter, ce grand frère qui lui a servi de père, ce grand frère en proie à ses propres tourments, inavoués et inavouables.

Mais en juillet 1979, le destin tourne brusquement et dramatiquement pour Alison, alors que tout allait pour le mieux entre Dan et elle et qu’ils s’apprêtaient à donner un concert avec un groupe de musique amateur. Un événement inattendu auquel elle est mêlée et dont elle paie le prix fort. Un prix fort redoublé par un exil, forcé, nécessaire, en France puis en Espagne. Jamais plus Dan n’entendra parler d’elle, ni ne saura les raisons de son départ. Une rupture inattendue, inexpliquée, dont il peinera à sa remettre.

Plus de trente ans après, Dan est devenu une référence journalistique dans le monde la musique. Sa passion est devenue son métier, qu’il exerce en free-lance entre Édimbourg et Londres. Marié à Katelin, il est le père d’un grand enfant qui vole de ses propres ailes maintenant. Alison est devenue Ali, mariée à un très riche Australien au nom prestigieux à Adélaïde. Deux filles brillantes, une aisance matérielle sans limite et un premier roman devenu un best-seller : Ali estime avoir réussi et atteint une certaine plénitude.

Mais lorsque Dan découvre, via les multiples ramifications qu’offre un réseau social comme Twitter, qu’Alison n’a pas totalement disparu des radars, c’est un électrochoc, qui lui rappelle que sa flamme pour son premier vrai amour n’est pas vraiment éteinte. Mais comment la contacter ? Comment garder (ou retrouver) la face, littéralement, trente ans après ?

Il a alors l’idée de lui envoyer une première chanson, titre clé sur lequel tous deux ont dansé à seize ans, transcendés par le même pulse. Des milliers de kilomètres plus loin, Ali a la surprise de recevoir ce titre, de revoir la photo de ce garçon que jadis elle a tant aimé et qu’elle a quitté pour se sauver elle…

S’ensuit une correspondance musicale, de bon goût bien évidemment, et riche de références communes, aux titres qui se donnent à lire comme des messages subliminaux. Et point besoin d’être docteur en interprétation pour comprendre que Dan et Alison n’ont en rien oublié l’évidence de leur amour d’autrefois.

Mais comment « renouer » trente ans, un mariage et une descendance après ? Peut-on donner libre cours à ses véritables sentiments, que l’on sait être les vrais ? Comment distinguer l’amour qui a été celui, fondateur, d’un socle conjugal puis familial, de l’amour fulgurant d’une jeunesse envolée, sans doute maladroite et pourtant évidente ?

Il est ainsi question de choix dans cet extraordinaire roman de Jane Sanderson, mais aussi de seconde chance : chance de refaire sa vie ailleurs, autrement, de façon plus heureuse ou, du moins, moins misérablement. Des choix par défaut ? Peut-être… Parce que lorsque le passé est réactualisé avec la même force que celle d’antan, il y a de quoi douter. Peut-on remettre en cause, en question, trente ans de sa vie alors que l’on approche de cinquante ans ? Comment relire à la lumière du présent les choix faits par le passé ? Ont-ils été les bons ? Auraient-ils pu être faits autrement ?

Lovesong nous invite à une relecture de la vie de deux protagonistes hautement sympathiques. Une histoire d’amour certes, mais pas seulement : le déterminisme social y est la toile de fond pour une critique éclairée des choix de vie que l’on peut faire lorsque ce sont des considérations matérielles et morales qui les dictent. Parfois au détriment d’un bonheur que l’on savait à portée de main. Mais rien n’est jamais trop tard, et l’évidence de se rappeler à la raison…

Un récit très fort, très beau, à lire avec passion et, dans les oreilles, la playlist de la correspondance musicale d’Ali et de Connor.


Lovesong, Jane SANDERSON, traduit de l’anglais par Maya Blanchet, éditions ACTES SUD, 2023, 381 pages, 22.80€.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s