A dévorer !

« Rendez-vous à la Porte dorée », Agathe Ruga : parce que c’était lui…

Anne a vécu la passion avec Joachim. Pour lui, elle a quitté son mari, mis en péril ses relations familiales et amicales. Avec lui, elle a eu deux filles et tout ce qu’une femme pouvait chercher pour être comblée. Pendant dix ans, l’évidence, la symbiose, l’amour fou, le feu incandescent.

Mais le quotidien de mère, de praticienne médicale et d’écrivaine a progressivement eu raison de la fougue de notre héroïne. Doucement mais sûrement minée par une fatigue grandissante et une incompréhension latente des besoins de chacun, Anne et Joachim s’éloignent. Jusqu’au geste de trop. Celui qui invite la jeune femme à se jeter tête la première dans une aventure qui lui permet de se redécouvrir femme, pleinement femme désirable et désirante.

Cette tocade est suffisamment puissante pour dissoudre le couple. Ne reste de leur union que deux enfants. Une garde alternée et guère de mots échangés.

Seulement, un an après avoir assouvi avec son amant ses élans passionnels, Anne constate avec un certain désarroi que l’amour n’est en fait pas là. L’amant est possessif, jaloux comme un pou et, plus que tout, il n’est pas Joachim. De fait, Anne comprend son erreur : elle a cru renaître à elle-même en passant par d’autres bras. Mais le constat est là : elle n’a jamais été aussi heureuse, malgré les passages à vide et les moments difficiles, qu’avec Joachim.

« Car cet homme, je l’avais désiré ardemment. Je l’avais attendu un an. J’avais collectionné ses sourires et pardonné ses errances. J’avais même écrit un livre. Mais, à partir du moment où il est entré dans mon appartement, je n’en ai plus voulu. Je pensais en être amoureuse alors que je n’étais obsédée que par la fuite. » (p.38)

Toute sa vie devient alors enjeu de reconquête : elle doit retrouver l’amour de Joachim, faire fi de son silence, de ses textos auxquels il ne répond pas, de sa parfaite indifférence à tous les artifices dont elle use et abuse en espérant le charmer. Pourrait-il en être autrement ? Lui, l’homme trompé, bafoué dans ses croyances, se drape dans un certain mépris, étoffe à l’épaisseur proportionnelle à l’ampleur de l’affront subi.

Anne ne recule devant rien : elle multiplie les stratagèmes qui, selon elle, ne peuvent que le faire succomber. Elle s’entête à voir autour d’elle des « signes » qui forcément annoncent le retour de Joachim dans sa vie. Autour d’elle on s’inquiète de cette obsession, que l’on devine illusoire et surtout vouée à l’échec. Mais Anne s’obstine car elle sait. Elle sait que Joachim lui reviendra. Il faut qu’il lui revienne.

Et tant pis si cette illusion, cette croyance ne doit prendre vie que sur du papier. Après tout, n’est-ce pas la plus jolie postérité que l’on puisse imaginer à un amour qui, de vécu, se retrouve fantasmé ?

« Je ne sais pas pourquoi on sabote tout, ou s’il y a une raison à cela. Je ne sais pas si on quitte le bonheur de peur qu’il ne se sauve, parce qu’on n’en peut plus ou juste parce qu’on s’ennuie. Je ne sais pas à quoi correspond la fuite. » (p.85)

Agathe Ruga questionne dans cette autofiction, avec ce talent d’écrivaine que j’affectionne tant chez elle, le droit à l’erreur en amour. Et, accessoirement, à la nouvelle chance. N’a-t-on le droit d’aimer qu’une seule fois une personne ? Au nom de quoi accorder le pardon lorsque parfois le cheminement amoureux devient errance ? Le passé est-il plus attirant lorsque la terne lumière du présent l’éclaire d’un filtre peut-être finalement subjectif ?

Comment donner corps à l’amour que l’on sait absolu ?

L’écrivaine narre sans ambage les sacrifices auxquels, au nom de sa quête, elle consent. Elle donne voix aux doutes qui l’étreignent et au manque qui l’étouffe.

Agathe Ruga offre à son histoire d’amour qui a été et ne sera sans doute plus le plus bel hommage, aussi nourri de larmes et de désillusions soit-il : un tombeau littéraire qui à jamais figera dans l’encre et sur le papier les mots pour dire ce que fut la passion, la vraie.

« Obsédée par l’absence, je n’ai peut-être cherché que cela toute ma vie : te tenir à distance pour te posséder. T’éloigner pour te raconter. » (p.87)
« je suis là pour immortaliser notre amour immense, inégalable » (p.127-128)

Merci chère Agathe pour ton nouveau récit : bonheur absolu de lectrice, et don de toi dans cette œuvre dont on ressort profondément touché.


Rendez-vous à la Porte dorée, Agathe RUGA, éditions FLAMMARION, 2024, 253 pages, 20€.

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