Après quelques semaines d’absence (le temps de savourer ce sublime pavé de 700 pages en gérant un emploi du temps bien chargé), je reviens avec la critique enthousiaste (peut-il en être autrement ?!) des Fantômes du vieux pays de l’américain Nathan Hill.
Le gouverneur Packer, en pleine campagne présidentielle, reçoit en plein visage une poignée de gravillons lancée par une illustre inconnue. On crie au scandale, on assigne à cette femme le plus haut degré de culpabilité.
Cette femme, c’est Faye, la mère que Samuel, professeur de littérature à l’université, ne voit plus depuis que cette dernière l’a abandonné à l’âge de 11 ans. A travers ce fait divers (militant ?) devenue affaire nationale, Samuel redécouvre malgré lui cette mère qu’il s’employait à oublier.
Ce n’est pourtant pas le moment : Samuel doit gérer Laura, une étudiante capricieuse et vicieuse qui tente de le faire chanter pour échapper à la punition méritée d’avoir triché à un devoir. Il doit aussi contenter la colère et les menaces de son éditeur, qui lui réclame le livre pour lequel une coquette avance lui avait été donnée ; le problème, c’est que Samuel n’a pas écrit le traître mot de ce livre.
Et si Samuel racontait l’histoire de sa mère dans un livre ?
Ce point de départ ouvre alors les portes de l’histoire de Samuel et de l’histoire de sa mère. Différentes temporalités se croisent alors : l’année 2011 pour Samuel, l’été décisif de 1969 pour Faye, ou encore 1940 pour la genèse familiale des personnages. Ce roman évoque également l’Histoire, toile de fond des choix de vie des personnages : les manifestations hippies de Chicago contre la guerre du Vietnam, le poète Allen Ginsberg déambulant à travers les activistes de 1969, la colère des familles éplorées par la mort d’un fils ou d’un frère soldat en Irak sous l’ère Bush…
Tout au long de ce roman, à la rare densité, l’auteur nous questionne : que sait-on de nos origines ? Sommes-nous en mesure de juger la genèse de notre histoire / Histoire ? Quel est le prix à payer de nos actes, de nos choix ? Y en a-t-il forcément un ? Nos choix sont-ils véritablement libres ? « Et si »… ?
Ce récit de Nathan Hill est d’une rare beauté littéraire : la narration y est délicate, le style fluide et la maîtrise des variations de style virtuose. Ainsi, le temps de quelques chapitres, l’auteur mime littérairement le principe des « Histoires dont vous êtes le héros », romans favoris de l’enfance de Samuel tandis que celui-ci se retrouve dans une situation cruciale avec Bettany, son amour de jeunesse jamais déclaré ; ou encore l’absence de toute ponctuation pour la description médicale pointilliste de la quasi-syncope de Pwnage, ami de Samuel accro aux jeux vidéo.
Je me refuse exceptionnellement à intégrer une citation : tout le roman en est une (700 pages, imaginez !). Pas un mot qui ne soit superflu. L’Amérique (et le monde) a trouvé son nouveau génie : qu’il reste nous hanter avec délice !
Les fantômes du vieux pays, Nathan Hill, collection « Du monde entier », Gallimard, 2017, 703 pages, 25 €.