A croquer

« La petite famille », Sophie Avon : beau récit de l’inadéquation des désirs amicaux et amoureux d’un troublant ménage à trois

Camille et Ron sont de jeunes mariés et de futurs parents. Pourtant, au départ, rien ne devait se passer de la sorte : Ron le Néerlandais envisageait un simple coup d’un soir avec la jolie française Camille. Seulement, Camille l’a ferré et tout s’est enchaîné.

« Il y a trois ans, elle est tombée amoureuse de Ron et n’a eu de cesse de le conquérir. Elle n’a pas eu de mal à le séduire, les choses se sont compliquées après. Elle voulait tout : l’amour, le mariage, une famille. Ron commençait à peine ses études de droit, il n’avait qu’une chose en tête : coucher avec cette jolie Française et fuir. C’est elle qui a gagné. » (p.10)

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Camille vit sa grossesse comme une parenthèse bénie, en osmose avec son bébé à naître, tandis que Ron poursuit ses études de droit. Seulement, une fois le petit Sacha venu au monde, l’idylle familiale retombe comme un soufflet : plus d’harmonie sexuelle dans le couple, un intérêt relatif de Camille pour Sacha, une indolence post-partum des plus difficiles à vivre pour le couple…

« Ron fait le minimum, le soir, épuisé par ses journées de cours et le travail de traduction qui leur permet de survivre. Camille, elle, n’a pas le courage décidément de s’y mettre, alors elle ferme les yeux sur la crasse, du moment qu’elle sent bon, elle, et que son bébé a les fesses talquées. » (p.28)

Afin de redynamiser le duo, Camille invite son amie d’enfance Nina pour quelques jours. Le séjour se prolonge et Nina s’installe auprès de « la petite famille » auprès de laquelle elle a parfaitement trouvé ses marques, en particulier auprès de Sacha. Camille s’étiole tandis que Nina s’épanouit dans son rôle discret mais confirmé de substitut.

Il n’en faut pas plus pour que Ron cède peu à peu au charme de Nina, au départ décontenancée d’un intérêt qu’elle n’a jamais vraiment cherché à susciter. Les amants s’aiment, discrètement mais sûrement, sous les yeux inconscients mais semble-t-il consentants de Camille, elle-même désireuse d’autre(s) chose(s).

« Ron et Nina finissent par être amants. Cela se fait tout seul, leurs deux corps aimantés, chacun sachant très bien ce que l’autre veut. Ils se cachent, profitent des jours où Camille va vendre ses bijoux, ne se sentent pas coups. En cela, ils se ressemblent : ce qu’ils éprouvent a l’assentiment de leur cœur. Nina n’a pas l’impression de trahir son amie, d’autant que celle-ci, très occupée à sa roman virtuelle avec Abram, lui glisse un matin, avant de partir : « Tu sais, si tu as envie de Ron, ne te gêne pas. » Nina admire sa grandeur d’âme, tout en n’étant pas dupe que ça l’arrange. » (p.100)

Le ménage à trois fonctionne et Sacha est heureux : qu’importe ? Mais peut-on décemment envisager un réel équilibre des relation du trio ? L’équilibre ne serait-il pas qu’illusion précaire ?


La petite famille est un roman fort et qui surprend tout justement par cette force issue de la description d’un quotidien on-ne-peut-plus banal : un couple de jeunes gens, l’un encore dans les études, l’autre s’accrochant pour une survie financière précaire. Ce cadre narratif permet de questionner le couple, la famille et en particulier la maternité : qu’est-ce qu’une bonne mère ? Qu’est-ce qu’être une bonne mère ? Encore et surtout, ce très beau récit questionne le désir et l’inadéquation des désirs dans un couple, qu’il soit amoureux ou amical. A chaque instant peut affleurer la déception, la trahison… Sophie Avon réussit brillamment à faire advenir ce qui s’annonce dès les premières pages comme une tragédie en creux. Le dénouement n’en est que plus cinglant.

Un roman fort. Un roman vrai. Un roman de la vie. Un roman tragique d’une vie.

La petite famille, Sophie Avon, éd. Mercure de France, 2018, 168 pages, 14.80€.

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