A dévorer !

« Toutes ces choses qu’on n’a jamais faites », Kristan Higgins : « gros » plaisir de lecture estivale !

Emerson, Marley et Georgia se sont connues adolescentes dans un camp spécialement conçu pour les jeunes en surpoids : le « camp Copperbrook, internat de jeunes filles pour cure nutritionnelle et sportive intensive » (p.20). A défaut de perdre des kilos de manière conséquente, les jeunes filles y ont gagné une amitié pérenne, au point que Marley et Georgia sont devenues colocataires une fois adultes.

Toutes ces choses

Mais, un jour, elles reçoivent un appel de l’hôpital : Emerson, atteinte d’obésité morbide, est sur le point de mourir. Pour ses amies, c’est un choc : elles n’avaient de nouvelles d’elle que par téléphone. A aucun moment elles n’auraient imaginé qu’Emerson avait continué à prendre du poids, jusqu’à mettre sa vie en danger. Or, le constat, terrible, est là : littéralement gorgée de nourriture par son petit-ami, fétichiste des femmes enveloppées, et trouvant du réconfort dans la nourriture dans les moments difficiles, Emerson est devenue la victime de son addiction… dévorante.

« Je sais que c’est une addiction. Une maladie. Je le sais, et je n’ai pas envie d’être comme ça, mais je n’arrive pas à résister aux sirènes de la nourriture, à la quête de satiété. La nourriture est mon bouclier contre tous les chagrins que j’ai connus. La haine de moi-même, le dégoût, les souffrances physiques engendrées par mon poids, la nostalgie de ce que je prenais autrefois pour des acquis – se promener, tenir dans une voiture, prendre une douche – l’écœurement des gens… rien n’égale mon besoin de manger. » (p.422-423)

La jeune femme succombe. Néanmoins, elle laisse une enveloppe à ses amies : il s’agit d’une liste, rédigée au camp d’amaigrissement alors qu’elles avaient dix-huit ans, avec toutes les choses qu’elles feraient une fois minces. Forme de mantra pour motiver la perte des kilos. Cette liste fixait différents objectifs : prendre la main d’un garçon en public, rentrer son t-shirt dans son jean, manger un dessert en public… Autant de petits challenges et surtout de vrais plaisirs que les « gros » censurent, au nom du regard normatif d’autrui.

Ainsi en va-t-il de la dernière volonté d’Emerson : que Georgia et Marley réalisent chaque item de la liste.

« C’était toute l’idée de la liste : nous donner l’occasion de nous rattraper. Rentrer son T-shirt dans son pantalon, monter sur le dos d’un homme, n’étaient que des prétextes. Le principal était de ne pas laisser notre poids nous définir, de ne pas nous laisser dicter ce que nous avions le droit de faire ou non. » (p.442)

Au début dubitatives, les jeunes femmes voient en cette mission quelque chose de tout bonnement impossible à faire. Mais, progressivement, elles se prennent au jeu et chacune, dans le contexte de sa propre vie (une institutrice divorcée toujours amoureuse de son ex-mari ; une cuisinière bien dans ses baskets courant après un salaud de pseudo-prince charmant…), tente de réaliser les objectifs fixés.

« Emerson nous avait fait une faveur en ressortant cette liste. Vraiment. En véritable amie, elle nous bottait les fesses depuis l’au-delà. » (p.119)

Forcément, il y a des maladresses. Mais l’enjeu est de taille. Ou plutôt… de « poids ».


Ce roman de Kristan Higgins est bien sympathique, dans la mouvance des récits feel-god mais qui, indéniablement (assumons, une fois n’est pas coutume), font du bien.

Je craignais les poncifs et autres mièvreries : que nenni ! Le ton, globalement léger, évite relativement bien les clichés du genre. Je ne saurais mentir : il en demeure quelques-uns, mais c’est suffisamment bien écrit pour que ça ne soit pas un frein à la qualité de l’ensemble.

J’ai beaucoup aimé la manière de parler des personnes en surpoids, voire obèses. A travers les voix de Georgia, Marley et Emerson, ce livre est une forme de témoignage sur ce que c’est que de vivre quand on est gros : le regard des autres, souvent critique et dédaigneux ; le propre regard sur soi, souvent dégoûté…

« Quand on est gros, les instants de sérénité sont rares. Quand on est gros, on endosse une armure pour se protéger, pour dévier les coups. Soit on a le sens de la repartie et une bonne dose d’amertume, pour faire peur aux agresseurs potentiels, soit on est tout le temps joyeux pour montrer que rien n’est grave, qu’on est indifférent au mépris, aux insultes et aux humiliations. Quand on est gros, on fait beaucoup d’efforts pour être invisible. On a terriblement peur d’être remarqué, montré du doigt, de s’entendre dire ce qu’on sait déjà. » (p.10)

Ce roman offre une belle leçon d’humilité en cette époque où les gros sont de plus en plus nombreux et l’obésité le fléau des pays riches.

« Les gens qui détestent les gros n’arrêtent pas de dire que nous, les obèses, nous sommes des faibles. Ils ne parlent pas du fait que nous pouvons aussi être seuls, effrayés, isolés, pauvres, en souffrance, victimes d’abus sexuels dans notre enfance ou plein d’autres choses. Pour une grande partie du monde, nous sommes juste des faibles. » (p.219-220)

Toutes ces choses qu’on n’a jamais faites est un roman idéal pour l’été, tant pour sa légèreté de ton que pour son message, qui se doit de peser lourd aujourd’hui.


Toutes ces choses qu’on n’a jamais faites, Kristan HIGGINS, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Alexandra Herscovici-Schiller, éditions HarperCollins, 2019, 524 pages, 19.90€

Un grand merci aux éditions HarperCollins pour l’envoi gracieux de ce roman.

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