A dévorer !

« La chaleur », Victor Jestin : chronique d’une fin de vacances brûlante, entre eros et thanatos (#rentrée littéraire 2019)

Quel plaisir de chroniquer le premier roman d’un compatriote d’origine nantaise, maintenant installé sur Paris ! L’éclairage sur Victor Jestin et son brillant récit est amplement justifié et absolument objectif, je le jure !

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En cet été caniculaire, Léonard subit littéralement quinze jours de vacances dans un camping trois étoiles des Landes. Alors que pour ses parents le séjour représente des mois d’économie et tout autant d’expectatives, c’est pour Léonard une véritable épreuve : lui, l’adolescent de dix-sept ans tout en os et en angles, ne supporte guère la promiscuité avec ces vacanciers qui se gargarisent de journées passées dans une piscine, de sanitaires communs, d’un couchage approximatif et de soirées franchouillardes menées par le lapin rose pelucheux et transpirant du camping.

Solitaire, taciturne, Léonard détonne quelque peu dans ce décor aseptisé, dupliqué mille fois chaque été sur le territoire français.

« [J]’étais encore Léonard, timide et si gentil, qui n’aimait pas la chaleur et préférait les jours gris. » (p.20)

Mais les vacances basculent lorsque, la veille du départ prévu, Léonard aperçoit tard dans la nuit Oscar, un autre adolescent du camping brièvement rencontré les jours précédents, s’étrangler avec les cordes d’une balançoire sans pouvoir s’en libérer tellement il est alcoolisé. Or, Léonard n’intervient pas et laisse Oscar mourir sous ses yeux. Pire, il décide d’enfouir le cadavre sous le sable. Sans doute là, selon lui, sa vraie bêtise.

« J’ai pensé brutalement que je l’avais tué et cette pensée a chassé toutes les autres. Il n’y a plus rien eu que le corps lourd. » (p.13)

« C’était ça, la vraie bêtise. J’avais consacré ma nuit à enterrer un mort. » (p.30)

Le poids de la culpabilité envahit rapidement Léonard : si à aucun moment il ne se pose la question de son absence d’intervention, il envisage de révéler son crime (en est-ce un, d’ailleurs ?). Ainsi, à de multiples reprises et face à des interlocuteurs cruciaux, l’aveu affleure à ses lèvres.

« C’était trop en un jour. J’ai failli parler, et puis non, merde, c’est resté là. C’était impossible, voilà. » (p.116)

Cette dernière journée marquée par le sceau de la mort est aussi celle de la naissance d’un amour aussi intense que fugace. Un mouvement contraire qui parvient à garder Léonard à peu près stable alors qu’un chaque instant il semble vaciller dans son mutisme. Ainsi, Luce, redoutable séductrice en herbe, souffle le chaud et le froid auprès des jeunes mâles du camping ; or, c’est décidé, c’est sur Léonard qu’elle jettera son dévolu. Mutuellement insaisissables, les deux adolescents se livrent à une parade sans ambage.

« C’était une autre chaleur que le soleil et je préférais celle-ci, je voulais bien avoir chaud comme ça. » (p.56)

De fait, Victor Jestin parvient avec talent à mêler le motif de l’eros et du thanatos à la hauteur d’un adolescent fasciné par cette dualité dans un espace-temps à la fois bref et resserré. Un quasi huis-clos sous un ciel immense et brûlant.

Si le camping suffoque sous le soleil de plomb, Léonard est proche de l’asphyxie avec les pulsions qui le tiraillent.

La chaleur est une chronique initiatique, un récit d’apprentissage en plan serré qui, pour le coup, intensifie les affects du personnage principal. Un « coup de chaud » moral mené par un style efficace : de toute évidence, Victor Jestin a, à 25 ans, un sens certain de la formule.

Ce premier roman se dévore littéralement. Un écrivain est né.


La chaleur, Victor JESTIN, éditions Flammarion, 2019, 139 pages, 15€.

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