Dans le collège André-Breton, situé dans le 93, on ne plaisante pas avec la discipline. Ludovic Lusnel tente, tant bien que mal, de créer un climat propice aux apprentissages et, autant que possible, d’éviter les frasques des adolescents qui peuplent son établissement. Certains flirtent avec les limites avec une insolence au bord des lèvres, les cités et leur misère sont juste à côté, et pourtant le collège ne fait heureusement pas particulièrement parler de lui.
Mais tout bascule lorsque une élève du collège, Fatima, dénonce le viol en réunion dont elle a été victime par huit autres élèves du collège, échelonnés de la 5ème à la 3ème. L’interpellation est organisée en off, un matin de jour de classe, pour saisir les huit présumés coupables. Le but est de créer le moins d’agitation possible au sein de l’établissement. Pourtant, c’est tout le contraire qui se passe : les élèves accusent Fatima, estimant qu’elle a bien cherché ce qui lui est arrivé, tandis qu’ils plaignent les huit camarades inculpés ; les professeurs réclament de la communication et ne comprennent pas comment un tel drame a pu se produire.
Le roman de Gabrielle Tuloup n’est au final pas tant le récit de ce viol en réunion que la vision des différents protagonistes qui environnent la victime et les coupables afin de rendre compte de leur réaction et, surtout, de leurs interrogations. Le narrateur accorde ainsi la parole aux élèves de la classe de l’un des élèves accusés, à la mère d’un autre accusé, à certains professeurs, à la CPE, aux surveillants, au principal. Au final, il me semble que le roman multiplie les « pourquoi », chacun ayant une valeur différente selon celui ou celle qui le prononce. Le viol est vu à travers le prisme de tout l’entourage social de la victime et des coupables.
« Ça lui explose au visage. Ils ont fait ça. Ses mômes ont fait ça. Elle l’entend de nouveau, nettement, le rire collectif. Ils savaient donc, les copains. Et Nadir qui frimait, les yeux brillants, les épaules sorties. Nadir qui, d’habitude, s’arrête toujours au bon moment. Qu’on n’aille pas lui expliquer que ce sont des gosses, qu’ils ne se rendent pas compte. Leur foutue présomption d’innocence, ils peuvent se la garder. » (p.37)
Les quelques bulletins trimestriels glissés dans le texte pouvaient-ils annoncer un tel dérapage ? peuvent-ils constituer des circonstances atténuantes ? Au final, peut-on excuser ces adolescents parce que « c’étaient des enfants » ? Y a-t-il un âge pour être reconnu coupable ? Et surtout, qui est coupable ? qui est à l’origine du drame ?
« Elle avait craint qu’on la prenne pour une enfant si elle refusait de sauter le pas, elle était devenue sans transition, en deux petites minutes et une vingtaine de coups de bassin, une fille facile. Sa réputation la précédait partout où elle mettait désormais les pieds. Elle était un fruit tapé, avarié. On n’y goûterait plus. Désormais on y mordrait avec dégoût. C’est ce qu’avaient fait les garçons du collège. Puisqu’elle aimait ça et ne se respectait pas, ils n’avaient pas de raison de la respecter en retour. » (p.85)
Gabrielle Tuloup questionne la genèse de l’indicible à travers ses protagonistes et, par un effet d’écho poignant dans le dernier tiers du roman à travers l’un des personnages clés, prouve qu’il n’y a pas d’âge pour être victime comme il n’y en a pas pour être coupable.
« A qui aurais-je pu répondre que j’étais là parce que je n’avais pas su repérer les signes, pas voulu voir les alertes ? Que des enfants que je suivais depuis des années étaient devenus sans que j’en prenne garde des salauds. Et qu’un homme que j’aimais ne valait guère mieux qu’eux. » (p.127)
Un seul point commun : oser la parole, refuser de se taire. Peut-être ce roman incite-t-il à la liberté de parole, qu’importe le contexte du traumatisme. Un roman résolument actuel et nécessaire, donc.
Sauf que c’étaient des enfants, Gabrielle TULOUP, éditions Philippe Rey, 2020, 168 pages, 16€.
Belle découverte. Sûre que j’irai le feuilleter. Merci
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Cette lecture a dû être dure. Même si le sujet est intéressant, je ne m’y risquerai pas.
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Il est vrai que suggérer est parfois plus fort que montrer…
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Je compatis mais je suis incapable de lire ce genre de roman… 🙂
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L’horreur de ce qui arrive à Fatima est évoquée : rien n’est heureusement montré. Mais cela est suffisant pour créer une empathie conséquente !
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